La nuit, les héroïnes ne portent pas de cape

En France, plus de 10 000 structures proposent de l’aide à domicile la nuit. La demande des français·es a triplé ces dernières années, de quoi mettre en difficulté un secteur qui a du mal à recruter. Pourtant celles et ceux qui choisissent cette voie parlent d’une expérience gratifiante.

Leur nuit est éclairée par les phares des voitures et les lampes de chevet. Dana Migner et Emmanuelle Madieta, infirmières de nuit depuis des années, témoignent de leur vie en décalé. “J’ai choisi de travailler la nuit, pour simplifier ma vie de famille.” explique Dana Migner, infirmière à Hospitalisation à Domicile (HAD) des vignes et des rivières depuis l’année 2015. Pour Emmanuelle Madieta, le rejet de la routine l’a poussé à adopter ce rythme pourtant décrié : “Le travail de nuit a été une révélation pour moi. Les tâches devenaient redondantes la journée, c’était dur psychologiquement”. Plusieurs types d’interventions existent la nuit : celles programmées, les appels spontanés ou les protocoles particuliers. “On sait quand on commence mais on ne sait jamais lorsque ça finit”, précise Dana qui fait exclusivement des heures de nuit. C’est un mode de vie très différent des infirmier·ères libérales qui ne sont jamais disponibles 24h/24. Emmanuelle, spécialisée en pédiatrie, travaille de 18h à 1h. “Mes  collègues qui interviennent auprès des adultes vont, elles, jusqu’à 2h”. Le quotidien de ces soignant·es de nuit est marqué par les urgences et les soirées d’astreintes qui peuvent durer jusqu’à 7h du matin. Antibiothérapie, intraveineuse, surveillance d’enfants prématurés, suivit de chimiothérapie, pansement long, soin palliatif, ils et elles peuvent effectuer une grande palette de soin avec un matériel présent sur place ou rassemblé dans leur petite mallette. “On a tous les traitements les plus utilisés pour  pouvoir tout faire instantanément, surtout en cas d’urgence”, explique Dana. 

Les soins à domicile se développent de plus en plus avec un nombre de patients qui a triplé ces dernières années : “Des parents m’ont expliqué la sensation d’insécurité à l’hôpital dû au manque de personnel soignant” relance Emmanuelle. En effet, le CHU de Bordeaux est classé dernier de France en taux de vétusté comme l’a confié Yann Bubien à Sud Ouest. À domicile les soignants prennent leur temps “on a plus de possibilité pour accompagner, de rester avec les patients plus longtemps alors qu’à l’hôpital tout est dans le rush” précisent les deux infirmières. 

Un engagement presque personnel 

Pour la plupart des patients, le monde de l’hôpital et des soins est anxiogène mais la nuit permet d’instaurer un climat plus intimiste. “J’ai remarqué que, la nuit, le soin n’est pas marqué seulement par son aspect technique mais plutôt par un aspect relationnel”, confie Emmanuelle. Rassurer, c’est le mot employé de multiple fois par les deux infirmières pour décrire une partie de leur métier de nuit. Leur présence est vue comme un soutien et leurs mots permettent de faciliter la prise en charge du patient qu’il soit enfant ou adulte. L’engagement peut dépasser les soins et la question des limites vient à se poser pour certain·es infirmier·es. “J’ai pris en charge une petite de deux ans en soins palliatifs. Son état s’était considérablement dégradé. À ce moment-là, la prise en charge devient compliquée émotionnellement lorsqu’il faut trouver les bons mots pour la famille et la patiente, qui se dirige vers le décès”. La maison reste un environnement intime : “on est au contact avec les familles, de leurs photos, leur cadre de vie”. Difficile dans ces conditions de prendre des distances. Mais, des règles ont été mises en place pour éviter les débordements comme par exemple  la réduction des durée de visite quitte à multiplier les passages. Certaines équipes décident aussi d’alterner avec différents patients pour se détacher psychologiquement de certains cas difficiles. Ces évolutions positives restent pourtant fragiles dans la mesure où la pénurie de soignant·es empêche par moment d’implémenter certaines solutions.   

Des patients à l’abandon ? 

La pénurie qui pèse sur le moral des soignant·es, impacte aussi les patient·es. 

Brigitte Lanta, proche aidante, est obligée d’employer le système D.  Sa mère de 84 ans a dû être hospitalisée la semaine dernière après une mauvaise chute qui a entraîné une fracture. “ Pour recruter des infirmiers et même des médecins traitant de jour comme de nuit c’est la croix et la bannière : c’est introuvable”, s’exclame- t-elle. Au printemps 2023, lorsqu’elle  n’est pas arrivée à joindre sa mère au téléphone, elle a décidé d’agir. “Ça a été le déclic, le stress était trop présent alors je suis passée à l’action. J’ai installé un système de vidéo surveillance dans des endroits stratégiques de sa maison”. C’est ce système qui lui a permis d’appeler les urgences lorsque sa mère est tombée. Les trois caméras de surveillance sont reliées à une application qui lui permet de scruter le domicile de sa mère à distance : “généralement je checke tous les matins et tous les soirs et quelques fois dans la journée mais c’est carrément fatiguant, c’est un métier à plein temps”, ajoute-elle. Le secteur de Martignas où habite la patiente reste un secteur très peu desservi par les infirmiers d’après son assistante sociale. 

Brigitte Lanta s’inquiète du retour prochain de sa mère à domicile. ©OliviaFrisetti

Un handicap pour les patient·es, surtout quand ils et elles ne trouvent pas de soignants disponibles.  Des examens doivent être effectués afin d’évaluer le degré de dépendance de la personne, l’importance de ses soins… Et les délais sont longs. “C’est toujours le même problème, je n’ai que des refus puisqu’elle n’a besoin que de traitement basique”, explique Brigitte Lanta. La solution intermédiaire peut venir des institutions mais  “tout est plein, je suis dans le flou”. Le travail des infirmier·es de nuit restent encore teinté d’un  “sentiment d’impuissance” comme l’indique Emmanuelle. Avant le Covid leur présence était vu comme un dû, aujourd’hui la reconnaissance de ce métier est prise en compte par les patient·es : “ça nous pousse à continuer”, conclut-t-elle. 

Olivia Frisetti et Louise Gerbaud

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