Face aux cancers d’origine environnementale, la difficile recherche de vérité scientifique

Depuis plusieurs années, certains facteurs comme la pollution de l’air, la malbouffe ou les pesticides sont soupçonnés d’être en partie responsables des cancers. En l’absence de preuves irréfutables, la science avance à petits pas… et avec peine.

C’est au cœur d’un immense complexe industriel, entre Fos-sur-Mer et Port-Saint-Louis-du-Rhône dans le Sud, que s’est montée l’Association environnement santé France (Asef). Autour de l’étang de Berre, d’où la gronde est partie, le taux de cancer est deux fois supérieur à la moyenne nationale. Qui blâmer ? Les géants de la pétrochimie, dont la fenêtre donne sur les plages ? Leur responsabilité n’a jamais été démontrée scientifiquement.

Ancien cardiologue, le Dr. Jean Lefèvre s’est engagé dans l’Asef sur les conseils d’un ami. Aujourd’hui, il regarde avec méfiance les diverses pollutions, tant d’origines agricoles à travers les pesticides, qu’industrielles ou alimentaires. L’Asef pointe du doigt leur responsabilité dans le développement de certaines maladies… dont des cancers. « Dans notre association, on essaye de sensibiliser les gens à la santé environnementale, on organise des réunions, on se déplace dans des établissements scolaires… » Pour Jean Lefèvre, le combat est clair. « Il faut que les gens soient renseignés pour pouvoir éviter certaines expositions à des facteurs environnementaux. »

Des études difficiles à mener

Le cas de l’étang de Berre est le symbole d’une inquiétude qui émerge à chaque débat autour de l’interdiction d’un pesticide ou de la découverte d’un nouveau polluant dans l’eau du robinet. Et si, en dépit d’un mode de vie sain, notre environnement direct pouvait être à l’origine de cancers ? Le monde de la recherche scientifique peine à l’affirmer avec certitude.

« Ça fait longtemps qu’on étudie le lien entre les facteurs environnementaux et le développement de certains cancers. Mais, on ne le comprend pas encore très bien. Ce sont des recherches très complexes à mener. » Docteure en santé environnementale à l’Université de Montréal, Nolwenn Noisel a dédié une partie considérable de sa carrière à l’étude du lien entre santé et environnement.

Quand on cherche à mesurer l’impact de l’environnement sur un cancer, on mesure quoi, et où ? Les indicateurs sont très complexes.

Nolween Noisel, docteure en santé environnementale

La chercheuse bretonne, aujourd’hui installée au Québec, en a tiré un ouvrage en 2023. Il condense l’expertise de plus de 150 spécialistes du sujet. « Quand on cherche à établir le lien entre tabagisme et cancer, on demande aux gens s’ils fument et on regarde qui développe un cancer : c’est facile. Mais quand on cherche à mesurer l’impact d’autres facteurs environnementaux sur un cancer, on mesure quoi, et où ? Les indicateurs sont très complexes. »

La période sur laquelle se développe la maladie vient compliquer davantage le travail de la recherche. « On peut développer la maladie vingt ou trente ans après avoir été exposé à une substance cancérogène. Et quand le cancer apparaît des décennies plus tard, on ne parvient pas à prouver ce à quoi la personne a été exposée, car on n’a pas d’échantillons de la substance en question. »

Le tabac et l’alcool brouillent le signal

Ainsi, les études scientifiques de référence portant sur les cancers liés à des facteurs environnementaux sont formelles : le tabagisme et la consommation d’alcool sont les principaux coupables. À eux deux, ils sont responsables de près de 30 % de l’intégralité des cancers, selon le Centre international de recherche sur le cancer (Circ).

L’alimentation est également un facteur déterminant. Selon la même étude, 5,4 % des cancers en France seraient attribuables à un rapport déséquilibré à la nourriture. Un chiffre complexe à faire ressortir pour Catherine Hill, épidémiologiste à l’Institut Gustave-Roussy à Paris. « Les études sur l’alimentation sont très difficiles à réaliser : comment résumer ce que vos parents ou grand-parents ont mangé pendant des années ? D’autant que les données sont assez incertaines, puisque l’augmentation des risques est très faible. »

Elle estime toutefois que les facteurs liés à l’environnement direct, tels que les pesticides ou certains composés chimiques persistants (les PFAS), restent secondaires. « Les journaux adorent faire peur ! Il y a une espèce d’amplification déraisonnable, qui fait que les gens sont persuadés que le risque de cancers augmente, à cause de la pollution qui augmenterait, et c’est tout faux. »

Derrière le tabac et l’alcool, dont l’impact sur la santé publique est destructeur (45 000 personnes meurent chaque année en France de cancers liés au tabagisme), les cancers liés à d’autres causes environnementales sont encore complexes à déceler. Les rapports les plus solides peinent à les quantifier.

Un doute raisonnable

Dans le monde de la recherche, le consensus se fait discret. Les chercheur·euses peinent à se prononcer, faute de données solides. « Il est normal que certains chercheurs aient plus de retenue ou de méfiance, reprend Nolwenn Noisel. Certains préfèrent rester très rigoureux et ne pas dire ce que les études ne démontrent pas. »

Mais pour la chercheuse, il convient d’être vigilant, alors que le lien entre pollution de l’air et cancers est admis par le Circ, ou que le radon, un gaz naturel, est à l’origine de nombreux cancers en Bretagne. « Il y a une chose très importante, c’est le principe de précaution. Quand on a un doute sérieux sur une substance, on peut légiférer pour l’interdire, pour protéger la population. Quand bien même les démonstrations ne sont pas faites hors de tout doute. Il y a toujours des failles dans une étude, mais est-ce que ça nous amène à dire qu’on ne peut pas avoir de doutes ? Je ne pense pas. »

Linda Rousso & Quentin Saison

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