Christophe, enseignant de la filière AGOrA : « On a l’impression d’être punis »

Christophe fait partie des grands « perdants » de la réforme des lycées professionnels. Son poste sera supprimé à la rentrée scolaire 2024 à la suite de la fermeture de la filière AGOrA (gestion-administration), dans laquelle il enseigne depuis plus de 20 ans au sein du lycée professionnel Jehan Duperier. Une décision dure à accepter pour ce professeur dévoué.

Christophe n’a pas de chance. Son établissement est le plus impacté par la réforme en Gironde. Toutes les filières du tertiaire vont y être supprimées progressivement d’ici à 2026 à la suite de la décision du gouvernement de remanier 80 filières considérées comme « peu insérantes » et « ne correspondant plus au marché du travail et de l’emploi ». Un argument que le professeur réfute en expliquant que 97% de ses élèves trouvent un débouché après leur formation, que ce soit en poursuivant en BTS ou en intégrant une entreprise. Le secteur d’activité tertiaire embauche toujours, comme le montre l’enquête Emploi de l’Insee, qui précise qu’en 2022, 77% des personnes en emploi exerçait dans de domaine. « Je ne comprends pas que le gouvernement balaye complètement la suppression des filières du service ». Inquiet, Christophe insiste en particulier sur le sort des filles du lycée Jehan Duperier. Elles représentent deux tiers des effectifs dans les filières du tertiaire. Avec la réforme, elles n’auront plus d’autres choix que d’opter pour une filière industrielle si elles restent dans le lycée, comme par exemple l’aéronautique. Aujourd’hui, Christophe a l’impression d’être « puni » avec la suppression de son poste, lui qui a pourtant le sentiment de « tout faire » pour ses élèves.

Un avenir incertain

Quand il réfléchit à son futur, Christophe a du mal à se projeter avec passion. Il a jusqu’à la rentrée prochaine pour se réorienter. Le rectorat lui a proposé plusieurs options, dont une qu’il a directement écartée : « je n’ai pas la patience pour être professeur des écoles ». Il ne se voit pas devant une classe de CM1. Il a aussi rejeté l’option de rejoindre la filière « vente » puisqu’il le sait, c’est une solution court-termiste. Cette section a aussi vocation à fermer dans les années à venir. En colère, l’enseignant va donc être contraint de muter dans un autre établissement dans le 33 s’il ne trouve pas d’autres solutions. « J’ai construit toute ma vie à Saint-Médard-en-Jalles. Déménager veut dire chambouler mon cocon familial et c’est dur à accepter ». Au-delà de son cas personnel, Christophe explique que la réforme risque de dégrader sérieusement l’image du métier d’enseignant et ainsi d’impacter son attractivité. « Ça ne donne pas envie de s’impliquer quand on voit comment on est remercié » regrette-t-il.

Une réforme dans le flou

Au lycée Jehan Duperier, la réforme est surtout synonyme de grand flou. Christophe est l’un des rares à avoir réfléchi à l’après. Ses collègues n’ont pas beaucoup plus de visibilité sur leur avenir que lui, et les informations sur la réforme peinent à tourner. « Le débat est impossible entre le gouvernement et les syndicats. C’est anxiogène de ne pas savoir ce qu’on va devenir » confie un autre enseignant, lui aussi gréviste mais dont le poste n’est pour l’instant pas menacé. Si les informations ne parviennent pas aux oreilles des équipes pédagogiques, elles peinent encore plus à trouver celles des élèves. Pour Christophe, c’est ce qu’il y a de plus difficile à digérer. Selon lui, ne pas permettre aux jeunes de choisir leurs parcours d’études en connaissance de cause, c’est prendre le risque de les laisser décrocher. « Je n’ ai pas envie d’envoyer une élève qui veut faire de l’accueil en chaudronnerie » explique le professeur, tout en ayant conscience que c’est pourtant ce qui se dessine pour ceux qui n’ont pas les moyens d’aller étudier dans un autre établissement.

Agathe Courret et Julie Conrad @julie_conradd

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