Voici venu le temps de l’e-thérapie

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Laure Rubinocci, psychologue de Boddy psy.

« Problèmes de couple ? Stress ? Dépression ? Difficultés professionnelles ? Vous avez besoin de parler à un psychologue ?« . Voici l’accroche commerciale de Boddy psy, une application créée à Bordeaux. Elle permet d’échanger avec un psychologue professionnel, par tchat ou par visio, pour quelques euros. Vous connaissiez l’e-médecine, voici désormais l’e-thérapie ! Finis l’attente, les contraintes horaires et les déplacements… Mais est-ce pour autant une alternative sérieuse à la consultation en cabinet ? Laure Rubinocci , psychologue de Boddy psy nous donne son avis.

Depuis combien de temps, et à quel rythme, pratiquez-vous les consultations en ligne ?

J’ai commencé il y a un an. Je peux prendre environ 4 à 5 patients par semaine, via l’application. Ce chiffre peut varier d’une semaine à l’autre et dépend de mon activité en cabinet, mais les deux sont indépendants. Je ne peux pas recevoir de patients en cabinet suite à une consultation sur l’application. C’est le principe de Boddy psy : tout ce qui se passe en ligne reste en ligne. D’autant que Boddy psy est une application qui s’étend sur le territoire national. Je peux donc être en contact avec des personnes à l’autre bout de la France. Mais si un de mes patients est de ma région et qu’il éprouve le besoin de consulter directement en cabinet, je peux lui recommander un collègue.

Ces consultations sont-elles aussi régulières que celles effectuées en cabinet ?

Il n’y a pas de règle. En cabinet un patient peut venir deux séances, et ne pas poursuivre le travail ensuite. J’ai même déjà rencontré des gens qui ne viennent qu’une fois. A l’inverse, grâce à l’application il peut y avoir un travail quotidien avec des séances par messages ou par vidéo, allant de 30 minutes à une heure. C’est un accompagnement qui s’apparente souvent à du coaching, mais qui peut se construire sur du long terme. J’ai eu une patiente qui, durant six mois, a éprouvé le besoin de me consulter régulièrement. Cette jeune femme avait de réels problèmes de communication, elle était très renfermée. Le tchat par échange de messages a été une première étape. Puis nous avons alterné à sa guise avec le visio. Par caméra cela permet de regarder dans les yeux son interlocuteur. Il reste la barrière de l’écran évidemment. Mais justement, pour les « grands ados » par exemple, ça peut être un moyen de dire plus de choses. Communiquer derrière son ordinateur ou son téléphone donne l’impression d’une frontière, ça rassure et ça permet de libérer la parole plus aisément.

Quel public est principalement ciblé par cette application ?

Un public très large ! En parallèle de mon activité en cabinet je fais aussi des consultations à domicile. Boddy psy m’a notamment séduite car elle permet de s’adresser à des personnes qui ont difficilement accès aux cabinets de psychologues. Dans ce public-là, on retrouve bien entendu des personnes en situation de handicap, mais pas que. Il y a aussi des personnes dépressives qui n’ont plus la force psychologique de sortir de chez elles, des agoraphobes ou encore des personnes ayant des horaires de travail atypiques.

Mais justement, cette facilité à rentrer en contact avec un psychologue, n’est-ce pas un frein à l’engagement nécessaire pour qu’une analyse fonctionne réellement ?

Cela ne convient pas à tout le monde évidemment. Mais s’engager, même en ligne, demande une volonté de changement. Si le patient conçoit l’application Boddy psy comme un jeu en ligne et ne prend pas cela au sérieux, ça ne fonctionnera jamais. Ceci dit, le même problème se pose avec les consultations en cabinet. S’il n’y a pas d’implication personnelle, il n’y aura aucun résultat. Consulter demande un réel travail sur soi. Ce travail peut se faire aussi bien en cabinet que chez soi, du moment qu’on se donne les moyens d’avancer.

Ne pensez-vous pas qu’on perd les bienfaits – le rapport humain notamment – d’une consultation en cabinet ?

Non, au contraire. Certaines personnes n’osent pas franchir le pas de la première consultation en cabinet. Il y a beaucoup de fantasmes autour du psychologue. Certains s’imaginent que voir un psy est destiné aux fous. Il y a donc une honte, une peur du regard des autres. La peur d’avouer qu’on « consulte ».  Boddy psy permet de briser la glace et de franchir cette étape plus facilement.

Cette application est aussi pour moi une façon d’informer sur la mission du psychologue. De déconstruire les clichés. Un psy n’est pas une « madame Irma ».  Il ne faut pas s’imaginer que le psychologue est un magicien qui peut régler tous les problèmes en un claquement de doigts. On ne résout pas trente ans de vie en une consultation. Il faut un suivi qui s’installe dans le temps et même en ligne, on peut construire une relation thérapeutique entre le psy et le patient.

Pour un patient qui souffre d’une pathologie grave, qui nécessite une réelle prise en charge thérapeutique, l’application Boddy psy est-elle suffisante ?

On ne peut pas gérer les risques d’urgence évidemment. Le risque suicidaire notamment doit être pris en charge différemment. L’application dans ce cas-là n’est pas une réponse adaptée. D’ailleurs, on met en ligne le numéro de suicide écoute (01 45 39 40 00), pour que les personnes concernées puissent être encadrées comme il faut. L’application Boddy psy doit être perçue comme un soutien, un coaching, dans un moment difficile de sa vie. Mais s’il s’agit d’un mal-être enraciné et beaucoup plus profond, avec un risque suicidaire pour le patient, une aide plus directe, en face à face, doit être envisagée.

Camille Humbert

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