Deux ans ont suffi aux Français pour sensiblement modifier leur façon de lire. C’est en tout cas ce qui ressort du baromètre Ipsos de 2017 sur la lecture, publié le 21 mars dernier. Les e-books ont la cote mais restent toujours moins attrayants que les livres traditionnels. David Pigeret, responsable d’un rayon chez Mollat, la première librairie indépendante de France, a décrypté pour nous le rapport de force qui s’opère entre le e-book et le livre papier .
David Pigeret se prête au jeu du bookface pour le compte Instagram de Mollat qu’il est chargé d’administrer. © Librairie Mollat
Bonne nouvelle : selon une enquête menée par le Centre national du livre et Ipsos, le nombre moyen de livres lus en France a augmenté en 2017. Avez vous constaté cette progression à la librairie Mollat ?
Pas particulièrement, les chiffres restent assez stables au niveau de la vente en magasin. Sur les ventes internet, en revanche, il y a une progression. Cela dit, les gens ne sont pas nécessairement obligés d’acheter pour lire davantage. Certains empruntent en bibliothèque, d’autres achètent chez les bouquinistes ou alors se font prêter des livres. Donc non, nous n’en avons pas directement ressenti les effets en magasin.
L’étude explique que cette augmentation est en partie due à la progression de la lecture des livres numériques. Quelle est votre politique concernant les e-books ? Comptez-vous développer le dispositif pour, un jour peut-être, vendre plus de numérique que de papier ?
Disons que nous sommes parés à toutes les éventualités. On propose déjà une offre vraiment exhaustive en ce qui concerne les e-books. Tous les livres en version numérique peuvent aussi être téléchargés sur notre site. Donc si le marché du e-book se développe, on est prêt à répondre à la demande. Mais ces livres numériques restent encore anecdotique dans notre chiffe d’affaire.
Ce sont essentiellement les grands lecteurs qui ont, ces dernières années, intensifié leur pratique. Constituent-ils votre cible principale ?
On est une librairie très généraliste. Notre politique, c’est donc de répondre à un spectre le plus large possible allant des grands lecteurs jusqu’aux plus petits. Et dans ce soucis d’offre généraliste, on se doit d’être bien plus exhaustifs que la Fnac ou d’autres sites. On propose aussi bien des best-sellers que des livres sur des secteurs extrêmement précis. Le but étant de satisfaire le plus de lecteurs possible, peu importe leur profil. Au niveau de la communication c’est le même modèle que l’on adopte. On ne cible personne en particulier. On est capable d’inviter à la fois des universitaires très pointus et des auteurs très grand public.
J’allais justement vous parler de communication et plus précisément de la série Bookface que vous avez créée sur Instagram. D’où vous est venue cette idée ?
Au départ c’était une idée pour s’amuser avec mon collègue du rayon des beaux arts. On l’a lancée en 2007 ou 2008, je ne sais plus, à l’époque des Sleevefaces. Ca n’a pas duré longtemps. Et puis en 2013 Mollat a ouvert son compte Instagram, et on s’est souvenu de ces photos assez amusantes. On s’est dit que ce serait drôle de faire des bookfaces pour communiquer sur la passion des livres. Au début c’était un peu maladroit et puis, à force d’en faire, ils sont devenus de plus en plus élaborés.
C’est donc une manière de montrer votre attachement aux livres physiques ?
Exactement. On voulait rappeler que le livre est un objet, que l’on peut jouer avec. C’est quelque chose que l’on peut prêter, qui circule. Un bouquin peut incarner plein de choses. C’est un objet avec lequel on vit. Autant de choses que l’on ne peut pas faire avec des e-books. C’est quand même différent d’avoir une belle bibliothèque chez soi plutôt qu’un disque dur plein de livres numériques. Donc il y avait à la fois un côté fun dans l’idée mais c’était surtout pour inviter les gens à venir en librairie et qu’ils se souviennent que les livres ne sont pas seulement des couvertures que l’on achète sur internet.
Vous avez actuellement plus de 44 000 followers sur Instagram. Pensez-vous qu’une telle stratégie sur les réseaux sociaux peut véritablement impacter vos ventes en librairie ?
Non cela ne peut pas avoir d’impact direct sur nos ventes. Ce n’est pas parce que l’on fait un bookface avec un ouvrage que les gens vont vouloir acheter celui-ci en particulier. Mais cela pourrait éventuellement amener certains followers à se rendre à la librairie par exemple. Ce qui est sûr c’est que cela nous permet d’accroître notre notoriété en France, voire même dans le monde.
Peut-on également voir dans cette stratégie sur les réseaux sociaux une envie de toucher les jeunes (sachant que selon le baromètre, les plus grands lecteurs restent les 50 ans et plus) ?
Evidemment. On a un compte Instagram et un compte Snapchat. On sait que ce sont les réseaux qui fonctionnent le mieux auprès des jeunes. Mais vu le succès du rayon jeunesse, on n’est vraiment pas inquiets sur le devenir de la lecture. On sait qu’ils vont continuer à lire et même qu’ils continueront majoritairement à acheter des livres physiques. Enfin on est pas des devins. Peut-être que certains migreront vers les livres numériques… Mais en tout cas, la présence du livre et de l’objet semble rester très importante.
La proportion d’acheteurs de livres en librairie a baissé entre 2015 et aujourd’hui (elle est passée de 75% à 70%). En cause, la vente en ligne et les grandes surfaces culturelles qui se sont très fortement développées… Que mettez-vous en œuvre pour contrer ces nouveaux modes d’achats ?
On essaye de se différencier au maximum. Par exemple, les grandes surfaces réduisent leur offre et se concentrent principalement sur les best-sellers. Nous, au contraire, on essaye d’être exhaustifs sur l’offre de bouquins. Et puis il faut savoir s’adapter au marché. Il faut toujours être au courant de ce qui se passe, des nouvelles tendances et des secteurs qui marchent. C’est important de sentir les évolutions à venir et d’anticiper le désir des gens. Face à la Fnac par exemple, on est capable de rapidement réagir puisqu’ils travaillent habituellement en pré-commandant leurs livres. Donc si l’on s’aperçoit qu’un bouquin va fonctionner, on le commande le plus vite possible pour tout de suite satisfaire la demande. C’est un travail de libraire tout simplement.