Cette militante féministe de 65 ans est l’une des figures de proue du collectif bordelais pour le droit des femmes. En 40 ans, Monique a été de tous les grands combats pour une plus grande égalité entre les sexes. Aujourd’hui, elle estime que les mouvements féministes se modèrent.
Monique Nicolas a co-organisé le 8 mars une manifestation pour la journée des droits des Femmes à Bordeaux.
Vous avez assisté aux changements du mouvement féministe depuis 40 ans. Comment ont évolué les actions des militantes ?
Dans les années 1970, on faisait des choses symboliques et rigolotes ! Aujourd’hui, on privilégie les actions plus traditionnelles comme les manifestations.
Par exemple, au milieu au milieu des années 1980, il y avait une veille tradition à Talence. C’était la fête de la reine du muguet. Une habitante de la ville était choisie. Elle était généralement vierge, pauvre, méritante. Elle s’occupait de ses dix frères et sœurs et de sa mère malade. Un cliché de la jeune femme au foyer. Dans les années 1970 et 1980, les Talençais célébraient cette jeune femme. Elle défilait dans la ville entre la mairie et l’église sur une voiture décapotable habillée en mariée. Autour du cortège, il y avait toujours une énorme foule et des policiers. Avec quelques amies militantes, nous nous étions mises dans une Citroën deux chevaux. Nous avions ouvert le toit et nous étions déguisés en ménagères. Sur le dernier kilomètre du parcours, nous avons réussi à nous glisser dans le cortège devant les voitures des policiers. Nous avons distribué des tractes féministes aux gens autour de nous et avons déroulé une banderole où était inscrit « reine du muguet, reine des opprimés ». C’est seulement arrivées au point de chute du parcours, que les policiers se sont rendus compte de notre présence. Ils nous ont fait partir.
De nos jours, le mouvement féministe est un peu triste. Il a vieilli, il est devenu raisonnable. À notre époque, nous faisions des actions jubilatoires.
Comment expliquer ce changement de ton, de type d’action ?
Aujourd’hui, je pense que les femmes ne connaissent pas les angoisses auxquelles nous faisions face dans les années 1970. Prenons l’exemple de l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Quand j’ai commencé à militer, on avait peur à chaque rapport sexuel d’être enceinte et d’être obligée de garder l’enfant. De nos jours, les jeune femmes ont un accès facile à la contraception et à l’avortement. Elles peuvent disposer librement de leur corps. Pour elle, le droit à l’IVG est devenu un acquis.
Je vous donne un cas concret, le Président espagnol Mariano Rajoy a remis en cause le droit à l’IVG en 2013. Le collectif bordelais des droits de la femme a organisé une manifestation. Il y a eu spontanément 2 000 personnes dans la rue. Huit jours après, on a fait une deuxième action. Il y avait 5 000 personnes. Mais les femmes et les hommes présents étaient majoritairement des membres de la communauté espagnole de Bordeaux. Il y avait très peu de Françaises.
Pourtant, il faut faire attention car cet acquis est sans cesse remis en cause. Une partie de la société ne l’a pas accepté. Il va encore falloir se battre, tout n’est pas gagné.
Le retour des idées chrétiennes traditionnelles notamment visibles dans le discours de certains candidats à l’élection présidentielle, va-t-elle intensifié la remise en cause des droits des femmes ?
Bien sûr. On le voit avec Donald Trump aux Etats-Unis. Lorsqu’il est arrivé au pouvoir, l’une des premières choses qu’il a faite, c’est d’arrêter de financer toutes les associations ayant un rapport avec l’avortement.
Et plus généralement la religion est-elle un frein aux progrès de la condition de la femme ?
Toutes les religions légitiment la hiérarchie entre les hommes et les femmes. Elles reposent sur la domination masculine et prônent des sociétés patriarcales. Même le pape François, qu’on dit « progressiste », est plus enclin a parlé de l’homosexualité que de l’émancipation des femmes. Mais je ne veux pas faire d’amalgames. J’ai milité avec des femmes catholiques. Elles étaient tout à fait émancipées.
L’émancipation a-t-elle été le moteur principal de votre engagement ?
J’étais quelqu’un de rebelle, d’indépendante. Je ne voulais pas me marier et puis obéir à un mari. Très peu pour moi. J’avais envie de choisir ma vie. Il était hors de question de reproduire le système de dépendance de la génération de ma mère. C’est-à-dire d’être au foyer et de m’occuper des enfants. L’important dans les années 1960, lorsqu’on était originaire d’un milieu ouvrier comme le mien, c’était de bien travailler à l’école pour avoir un métier. On voulait vraiment être indépendante financièrement. C’est principalement autour de ces idées qu’on a bâti les premiers mouvements féministes à Bordeaux vers 1973 et 1974. Pour ma part, je suis très précisément rentrée dedans en 1975. À partir de cet instant, on s’est efforcé d’inventer la vie. La nouvelle vie, la vraie vie des femmes.
Antoine Roynier