Le groupe M6, propriétaire des Girondins de Bordeaux, discute actuellement avec des investisseurs américains en vue d’une évolution du capital, voire d’un rachat du club. Le prix serait même déjà fixé : 70 millions d’euros.
Les Girondins de Bordeaux vivent décidément une saison mouvementée. En difficulté en championnat, c’est désormais en coulisses que les choses bougent, avec le possible rachat du club par des investisseurs américains d’ici la fin de saison. La direction du club n’a pas voulu communiquer sur le sujet.
Pierre Rondeau, économiste du sport, nous en dit un peu plus sur les fonds d’investissement et leurs stratégies.
La possibilité de rachat des Girondins de Bordeaux par des investisseurs américains se précise. Comment expliquer leur intérêt pour Bordeaux ?
La question qui se pose surtout, c’est pourquoi des investissements étrangers dans le football français. Le premier facteur qui explique cela est évidemment le coût moins élevé de notre championnat. Le championnat français a une valeur économique plus faible que celle des autres grands championnats européens, comme l’Espagne ou l’Angleterre. Estimé à 70 millions d’euros, le club des Girondins de Bordeaux est très loin du coût des grands clubs européens récemment rachetés comme le Milan AC (740 millions d’euros) ou Liverpool (800 millions d’euros).
Au-delà de ce constat, Bordeaux présente aussi l’avantage d’être une marque. C’est sans doute ce qui distingue le plus le club de ses concurrents de même niveau sportif comme Rennes ou Saint-Etienne. Le vin de Bordeaux est connu sur les cinq continents. C’est un peu la même chose que Paris avec la tour Eiffel. Cela permet aux investisseurs de gagner en visibilité à l’étranger et ça, les Américains le savent pertinemment.
L’enjeu financier de ce projet d’investissement ne risque-t-il pas de reléguer au second plan le volet sportif ?
Effectivement. Je suis inquiet quand je vois des fonds d’investissement arriver dans le football car ils n’ont pour but que la rentabilité à court terme. On voit bien ce qu’il s’est passé à Lille. Un fonds d’investissement a accordé des crédits au club pour booster les performances sportives et ainsi engendrer des bénéfices qu’un taux d’intérêt est censé venir rembourser par la suite. Pour l’instant, le pari est perdant. Mais le problème des fonds d’investissement est encore plus profond que ça. Même en cas de bons résultats sportifs, l’objectif est de se faire de l’argent sur le dos de joueurs dont la valeur marchande aura augmenté au fil du temps. Or vendre ces joueurs, c’est annihiler toute pérennisation de la logique sportive, qui se construit sur le long terme. Ces investisseurs n’ont rien à faire de la réussite sportive. Ils veulent juste voir la couleur de l’argent.
Peut-on imaginer un transfert du modèle économique américain à l’échelle du sport français ?
Non, le fonctionnement est différent. En france et en Europe, nous avons un système de redistribution équitable et non pas égalitaire des droits TV, sans « salary cap », sans « draft », avec des centres de formation et une libre concurrence entre tous les joueurs de l’espace communautaire depuis l’arrêt Bosman. Les Américains peuvent néanmoins apporter une façon de faire. Pour preuve, le Paris Saint-Germain a recruté l’ancien directeur commercial de la NBA comme directeur des sponsors, dès le lendemain de son élimination en Ligue des Champions. Les Américains peuvent aider les clubs à se développer à l’international et à sortir de leur logique de partenariats commerciaux régionaux. À Bordeaux, cette logique franco-française est très présente. En ce sens, la science du marketing sportif américaine, notamment sur les réseaux sociaux, pourrait aider les clubs à trouver des solutions alternatives et à être plus concurrentiels sur le marché.
Le rachat du Matmut Atlantique, stade des Girondins et propriété de la ville de Bordeaux est aussi évoqué. Qu’est-ce que cela induit et, le cas échéant, qu’est-ce que la municipalité aurait à y gagner ?
Le Matmut Atlantique est très récent et fonctionnel, il n’est donc pas étonnant qu’il attire les investisseurs. Plus largement, un stade peut potentiellement être très attractif et rentable pour un investisseur. Une enceinte comme le Matmut Atlantique vaut pas loin de 400 millions d’euros à l’achat. C’est aussi un actif particulièrement valorisable, gage de crédibilité économique car vous gérez les coûts, la billetterie par exemple, pour renflouer les caisses quand il faut. Enfin, c’est un objet de spectacle avec des concerts ou des séminaires la semaine, par exemple.
En revendant son stade, la ville serait gagnante puisqu’elle pourrait récupérer sa mise de départ. On peut tout à fait imaginer une redistribution de cet argent. C’est un dossier sensible qui demande beaucoup de discussions.