Politiques, médecins, associations, personnalités, citoyens…. Ils sont nombreux à se positionner publiquement en faveur de l’euthanasie en France. Et pourtant, sa légalisation n’est pas encore à l’ordre du jour. Ce blocage serait bien plus d’ordre éthique que juridique selon Cécile Castaing, maitre de conférences en droit public à l’Université de Bordeaux.
Les planètes seraient-elles en train de s’aligner ? 1 Français sur 2 serait favorable à un recours à l’euthanasie selon un nouveau sondage Ifop, tandis qu’une tribune signée par 156 députés demande sa légalisation. Ces deux éléments pourraient bien avoir leur importance lors des Etats Généraux de la Bioéthique qui ont ouvert en janvier dernier. Des discussions sont organisées à propos de cette question taboue en France, avec d’autres sujets sensibles comme l’extension de la Procréation Médicament Assistée (PMA) et de la Gestation pour Autrui (GPA). Dans un tel contexte, « Il n’y a plus qu’un pas à franchir », estime Cécile Castaing, maitre de conférences en droit civil à l’Université de Bordeaux. « La légalisation de l’euthanasie peut être réglée fin 2018 ». Le gouvernement souhaiterait que l’ensemble des discussions lors des Etats Généraux débouchent sur un rapport, puis un projet de loi en juillet, qui serait voté à l’automne. La ministre des Solidarités et de la Santé Agnès Buzyn a déjà tranché : elle est défavorable. Sans l’appui du gouvernement, espérer sa légalisation est difficilement envisageable.
L’incompréhension face aux réticences de l’État se fait ainsi ressentir. Plusieurs Français, comme l’écrivaine Anne Bert en octobre dernier, partent en Belgique pour espérer mourir dignement. Là-bas, l’euthanasie y est légale depuis 2002. Les dispositions juridiques en France seraient-elles trop lourdes pour envisager une légalisation sur son territoire ? « Les résistances du droit français ne sont pourtant pas tellement juridiques », selon Cécile Castaing. « Elles sont plutôt d’ordre philosophique, éthique et religieux ». Légaliser l’euthanasie, contraire au serment d’Hippocrate des médecins, demande en effet du temps. Chaque mot dans la loi compte. Chaque disposition qui y est inscrite aussi. Et les « tu ne tueras point » symbolisant l’héritage religieux, compliquent la tâche. « Mais le problème est surtout de savoir qui pourra en bénéficier. C’est en partie à cause de cette question sans réponse que la France n’a pas encore franchi le cap ».
Des questions délicates à régler
Dans son long chemin juridique, la France a pourtant avancé grâce aux lois Leonetti (voir ci-contre). Mais les dispositions ont leurs limites. D’où la nécessité d’une loi en faveur de l’euthanasie en France. Actuellement « si on est atteint d’une maladie grave incurable mais que l’on ne souffre pas, on n’a pas le droit à la sédation profhonde », explique Cécile Castaing. « Si on souffre atrocement mais que l’on est pas en toute fin de vie, on n’y a pas le droit non plus ! ». « Mettre le curseur au bon endroit pour savoir qui peut y avoir accès » est le principal enjeu en ce qui concerne l’euthanasie. La mise en place d’une telle mesure demande en parallèle une longue et lente réflexion. Quel sera le rôle de la famille du patient ? Sera-t-il possible d’anticiper son choix pour l’avenir ? A quel stade doit être le pronostic vital pour engager la procédure ? Et enfin, quand est-ce que l’on contrôle la bonne application de la procédure par les médecins ? La justice belge élabore ce contrôle après le décès du patient, au risque de commettre des erreurs. Mais, le faire avant pourrait prolonger les souffrances du patient…
Aussi, les situations rocambolesques que rencontrent les pays voisins alimente la peur de dérives. « En Belgique, des personnes souffrant d’une rupture amoureuse, ou même un prisonnier ne supportant pas sa détention, souhaitaient être euthanasiées ! », raconte Mme Castaing, avant de préciser que ces individus ont vu leurs demandes rejetées. De plus, « certains opposants mettent en avant le manque de places dans les hôpitaux et le coût élevé pour soigner les malades chroniques. Ils ne voudraient pas qu’on se serve comme un moyen pour redresser financièrement les hôpitaux…! ». Un argument qui fait froid dans le dos. Mais qui montre combien les résistances à l’euthanasie sont fortes.
Et surtout, le corps médical a son mot à dire. Avec la loi de 2002 sur la reconnaissance des droits des patients, « cela a amené la multiplication des procédures et des écrits dans la relation malades/médecins […] Ils voient d’un mauvais œil l’intrusion du droit dans leur pratique : encore une loi, encore des procédures… ». Enfin, « certains se demandent pourquoi on revient sur ce sujet en 2018, alors qu’il y a déjà les lois de 2005 et 2016 », jugées mal appliquées : les moyens en soins palliatifs seraient insuffisants.
L’après Leonetti ?
Si une loi voit le jour en France, elle devra donc répondre aux craintes des opposants, aux exigences de la profession. Les mesures seront très strictes, pour en faire une mesure d’exception : « Il faudra surement être majeur et en état de demander une telle pratique. Mais aussi, être atteint d’une affection grave et incurable, souffrir sans pouvoir être soulagé, avoir son pronostic vital engagé à très court terme… ». L’euthanasie, ultime recours : la vie avant tout… Quitte à élargir la loi plus tard. La Belgique, par exemple, a décidé d’ouvrir l’euthanasie aux personnes mineures en 2017.
Cécile Castaing rajoute cependant que les lois Léonetti offrent de bonnes prédispositions pour aller plus loin dans l’avenir. Elles définissent déjà plusieurs critères essentiels : « Ces lois sont assez précises sur la volonté des patients. On sait maintenant s’il doit être en état de s’exprimer ou non. Aussi, la décision médicale collégiale est mise en place… On a donc déjà une base » pour permettre la légalisation de l’euthanasie.
Agnès Buzyn penche d’ailleurs en ce sens, avec une nuance toutefois : « Je préférerais qu’on travaille sur la base de la loi Leonetti avant de re-légiférer sur un sujet éminemment compliqué » avait-t-elle déclaré au micro d’Europe 1 en octobre dernier. On a bien compris : l’attente sera encore longue.