Samedi 06 février, rue Judaïque, au cimetière protestant de Bordeaux. Milieux politiques et associatifs honorent un rieur déchu. Rafaël Padilla, dit le Clown Chocolat, obtient sa plaque commémorative à l’entrée du lieu de recueillement dans lequel il est enterré. Une cérémonie avec autant de messages que d’intervenants.
La météo bordelaise est clémente. Les dames sont venues en robe et talons, les hommes en jean et chemise. Dans la foule, quelques manteaux et sacs de marque côtoient des polaires limées. Le public est diversifié et rieur. Une élue locale claque la bise à un membre du cirque Arlette Gruss. C’est tout de même à un clown que l’on rend hommage.
Chocolat, de son vrai nom Rafaël Padilla, fait l’actualité avec la sortie de son biopic au cinéma. Réalisé par Roschdy Zem, avec pour vedette Omar Sy, le film met en lumière le destin tragique d’un homme dont la couleur de peau obligeait à interpréter inlassablement un bouffon souffre-douleur.
Reconnu premier grand artiste noir de la scène française, Rafael Padilla a fini de façon misérable, succombant sur les quais de Bordeaux à une soirée trop alcoolisée en 1917. Il est enterré au cimetière de la ville qui l’a vu mourir, au côté des indigents. Tout simplement parce qu’à l’époque, pour les personnes comme lui, « c’était cela ou la fosse commune », rappelle Karfa Diallo, président de Mémoire et Partage.
Politiques et association : divergence de points de vue
Cette vacherie de l’histoire française, politiques et acteurs de la vie associative la reconnaissent. Mais là s’arrête le point d’entente. Laurence Dessertine, adjointe au maire, parle d’une « reconnaissance nationale tardive » et d’« un film de vérité ». Les acteurs associatifs, que leur domaine relève du social ou du religieux, ont un autre discours. Celui de la mise en abyme par rapport à l’actualité politique.
« Cesser d’être les indigènes, les esclaves d’aujourd’hui »
Déchéance de nationalité, prolongation de l’Etat d’urgence, « lâcheté » sur la question de la migration en Europe… Une simple plaque commémorative peut faire ressortir nombre de clivages français. Karfa Diallo s’en prend dans son discours à la vision du « noir » au sein de la société française, arguant que peu de choses ont changé depuis l’époque de Chocolat. « Il y a impossibilité d’exister par soi-même », s’exclame-t-il en tournant sa tête à 180 degrés pour être sûr de parler à la cinquantaine de personnes réunies. Avant d’ajouter : « Les jeunes [ndlr : de couleur] qui sont relégués dans les périphéries de nos villes, pleins de savoirs et de connaissances, ne veulent rejeter ni la pigmentation de leur peau, ni leur religion, ni leur culture. Ils veulent cesser d’être les indigènes, les esclaves d’aujourd’hui, comme l’a été Chocolat ». Des phrases qui témoignent d’un rejet de la politique gouvernementale actuelle. Hommage oui. Union sacrée non.
Débattre aux côtés des morts
« Nous sommes en pleine actualité, non pas d’un passé raciste révolu, mais d’une réalité de discrimination contemporaine ». André Rosevègue, co-Président de l’Union Juive Française pour la Paix (UJFP), a plus d’un reproche à faire à la France concernant son rapport au passé. Selon lui, le pays répète les mêmes erreurs et refuse de reconnaitre pleinement celles du passé. Le devoir de mémoire ? Pas assez respecté. Juste quelques balbutiements bien faiblards face à l’ampleur de la honte. Des propos qui font bondir Angele Louviers, avocate et directrice des programmes du très officiel organe gouvernemental qu’est le Comité national pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage (CNMHE).
Il n’en faut pas plus pour improviser un débat d’idée au pied des tombes.
Les professionnels de la politique sont partis depuis bien longtemps. Une chorale entonne un chant d’enterrement du Bénin, suivit d’un « chant de joie Lingala de l’Afrique centrale ». On participe, on applaudit. On part. La plaque actuelle partira aussi. Elle n’est que provisoire. Son concepteur, Jesus, a fait une faute d’orthographe sur le métal doré, au mot « clown ».
Douce ironie qui fait sourire.