Roselyne Bachelot a annoncé vendredi 10 décembre l’ouverture des archives judiciaires de la guerre d’Algérie avec 15 ans d’avance. Aux archives départementales de la Gironde, le calme se démarque de l’agitation provoquée par les propos de la ministre.
Une annonce médiatique, des conséquences à sa hauteur ?
Cette communication semble davantage faire parler les journalistes que les archivistes et les chercheurs. Véronique Pisani, conservatrice en charge de la diffusion au public aux Archives départementales de Gironde, estime qu’une large partie des documents était déjà facilement accessible: « Nous vivons dans un État où la liberté est centrale, notamment grâce à la loi du 15 juillet 2008 du code du patrimoine. Les chercheurs n’avaient pas de mal à obtenir des dérogations pour accéder à des documents qui ne sont pas encore ouverts. » Une enquête du journal Le Monde estime qu’environ 93% des demandes de documents qui n’ont pas encore atteint leur délai de communication sont accordées dans un délai de deux mois.
Le temps de protection des archives est pourtant essentiel, « Ce qui est fondamental, c’est la protection de la vie privée, la protection des victimes. Cela va de 25 ans pour les archives commerciales, à 120 ans pour le domaine de la santé. Globalement, plus on touche au domaine de l’intime, du privé, plus le délai s’allonge. » Concernant les archives judiciaires de la guerre d’Algérie, le gouvernement français a décidé d’anticiper de 15 ans l’ouverture de documents dont le délai de communication était fixé à 75 ans.
Des archives spoliées
La conservatrice rappelle aussi qu’entre l’annonce ministérielle, la promulgation du décret d’application et le nécessaire tri des archives, plusieurs mois peuvent s’écouler. Cette annonce n’aura pas d’effet en Gironde avant un moment. Bien que le département dispose d’un fonds important, une grande partie des archives concernant la guerre d’Algérie ont été entreposées en 1962 à Aix-en-Provence, au sein des Archives nationales d’outre-mer (Anom).
Côté algérien, les archives de la guerre d’Algérie ne sont pas accessibles aux chercheurs locaux. Ils multiplient actuellement les pétitions pour pouvoir y accéder. « La demande et la revendication d’ouvrir les archives date d’au moins dix ans », se désole l’historien Amar Mohand-Amer en mars 2021 sur TV5Monde. Par ailleurs, les archives algériennes ont été, en partie, dérobées par l’Etat français à la fin de la guerre, en 1962. Malgré quelques restitutions, elles n’ont pas été, à ce jour, rendues dans leur totalité à l’Etat algérien.
Des crispations à apaiser
Après une escalade des tensions entre la France et l’Algérie, cette communication, dont les conséquences demandent de la patience, vise, entre autres, à apaiser les relations entre les deux pays. Pour rappel, Emmanuel Macron, lors d’une rencontre avec des jeunes descendants du conflit, s’était désolé que le système « politico-militaire » algérien entretienne une « rente mémorielle » autour de la guerre d’indépendance et de la France. Cela avait déclenché l’ire d’Alger : le président Abdelmadjid Tebboune avait rappelé son ambassadeur à Paris et interdit le survol de son territoire aux avions militaires français.
Près de soixante ans après la fin de la guerre d’Algérie, les commémorations autour des accords d’Evian de 1962, auront lieu le 18 mars prochain. A trois semaines des présidentielles, elles provoqueront sans doute des débats entre les différents candidats. Entre-temps, il n’est pas sûr que de nouveaux documents concernant cette période soient accessibles de sitôt aux archives départementales de la Gironde…
Raphaël Jacomini