Dimanche 2 avril, Marine Le Pen a offert plus d’une heure de discours aux 2000 sympathisants et militants venus la soutenir au Palais des Congrès de Bordeaux. Un discours dans lequel la candidate de l’autoproclamé « 1er Parti de la jeunesse » a multiplié les appels du pied aux jeunes.
« C’est grâce à la jeunesse de France que notre pays inventera à nouveau le monde » s’exclame Marine Le Pen sur l’estrade aussitôt suivie des applaudissements de la salle. Depuis le début de son meeting à 15h la candidate multiplie les références, les clins d’oeil à cette jeunesse « dont le propre c’est de vouloir accéder à la parole, être entendue ». La jeunesse, thème presque central du discours tant il a été décliné sur toutes les variantes du répertoire frontiste, de l’insécurité économique à l’insécurité sociale en passant par l’insécurité physique et culturelle.
Les jeunes, navire amiral du nationalisme mariniste
Aujourd’hui promis à 25% des intentions de vote chez les jeunes (selon les sondages les plus pessimistes) le parti a atteint un record pour cette catégorie d’âge aux Régionales de 2015. 28% des 18-24 ans ont glissé un bulletin Front National dans l’urne, 35% chez les 25-34 ans.
Si les jeunes restent un segment ancré à gauche, leur rapprochement avec les idées de l’Extrême Droite néopopuliste à de quoi interroger. Il faut dire que le parti créé en 1972 par Ordre Nouveau et Jean Marie Le Pen surfe sur un nouveau credo depuis l’arrivée de Marine. Un nationalisme universaliste inspiré d’Ernest Renan et chargé de propositions sociales en faveur des étudiants et des jeunes actifs.
D’ailleurs, ce dimanche, la leader frontiste a longuement repris le discours d’Ernest Renan. « La filiation ou le sentiment d’appartenance, la solidarité, le destin partagé ,voilà des confluences fraternelles qui peuvent réunir tous les Français, d’où qu’ils viennent pour peu qu’ils soient français dans leur coeur. ». Le discours déclenche une salve d’applaudissements et de « Marine Présidente ». Difficile de ne pas y voir la référence au philosophe et historien, qui, en 1882, définissait la nation comme « le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune. Un plébiscite de tous les jours ». En revanche, la référence a été épurée. Pas de traces du passage où Ernest Renan exprime la supériorité des sentiments communs sur « les douanes communes et les frontières conformes aux idées stratégiques ». Un nationalisme sur mesure, ni trop universaliste, ni trop ethnique.
A travers ce nationalisme universaliste, bien éloigné de l’ethnonationalisme en vogue à l’Extrême Droite,
Marine Le Pen introduit l’idéologie nationaliste auprès de jeunes issus des rangs de la Droite comme de la Gauche. Pour l’historien Nicolas Lebourg : «C’est une façon de vendre le nationalisme de manière positive. Parler d’un patrimoine à transmettre c’est éviter les attaques des républicains qui partagent la définition d’Ernest Renan. Résultat : elle neutralise les critiques et insuffle un réflexe nationaliste à ses locuteurs »
Et pour les jeunes qui ne se laisseraient toujours pas tenter , la candidate frontiste liste des propositions concrètes. Dans une ville comme Bordeaux, classée dans le top 5 en nombre d’étudiants, elle promet la revalorisation des APL, « une sorte d’Erasmus pour les filières techniques ou technologiques » ou encore l’éternelle antienne du FN: la revalorisation de la formation professionnelle.
Elle n’hésite pas non plus à tacler les sélections à l’entrée des universités, « cet accès qui relève aujourd’hui du hasard de programmes informatiques ». La candidate frappe juste, elle connaît son terrain, Bordeaux a vu l’une de ses universités poursuivie en justice par des étudiants « tirés au sort » dans des filières surchargées.
Fidéliser l’électorat de demain
Pour le spécialiste de l’Extrême Droite, cet appel à la jeunesse à quelques semaines d’une échéance électorale n’a rien de surprenant « La Droite traditionnelle a plus de facilités sur le segments des séniors. Il y a donc un intérêt majeur à galvaniser les jeunes ».
A court terme il s’agit de dépasser les séniors, ces « babyboumeurs » que Marine Le Pen voudrait voir s’associer à la jeunesse pour « retrouver une France puissante». Pour Nicolas Lebourg, le « FN a encore de quoi gratter dans le vote des jeunes. » Une marge de manoeuvre que le parti voudrait utiliser pour contrer le « problème de la participation très différenciée selon l’âge. Une élection présidentielle est une élection qui est tranchée par les séniors qui votent plutôt dans la Droite traditionnelle ». L’historien explique ainsi qu’« il faut absolument le vote des jeunes pour ne pas se faire avaler par le vote des séniors de cette Droite traditionnelle ».
Mais le vieux parti voit loin. Sous le renouveau mariniste, le FN aimerait s’attirer un nouvel électorat. Un électorat qui n’a pas connu le FN de Jean Marie Le Pen ou très peu, un électorat « digital natives ». «C’est la première génération post-régime mémoriel de Vichy, une génération du passage à un système mémoriel basé sur la question de la colonisation, en particulier de l’Algérie coloniale » poursuit Nicolas Lebourg. Résultat, les jeunes seraient plus sensibles aux arguments basés sur les antagonismes ethniques et confessionnels. Un électorat plus simple à convaincre, qu’il faut prendre dès ses premiers pas dans la vie politique. «Pour voter FN il faut passer un cap. Cela nécessite une démarche plus compliquée que de passer de l’UDI aux parti des Républicains. Si il y a des primo-votants qui glissent un bulletin FN, cela permet au parti de se créer un segment de population à qui donner une tradition électorale. C’est un peu comme le coca cola et le pepsi, selon ton choix à 18 ans tu vas te fidéliser à une marque ou une autre » .
Faut-il s’habituer à voir les jeunes voter FN ? Déjà en 2002, Jean-Marie Le Pen faisait jeu égal avec Lionel Jospin et Jacques Chirac en regroupant 13% des intentions de vote chez les 18-24 ans. Un proportion qui passe à 18%, dix ans plus tard, pour sa fille et pourrait atteindre les 29%, le 23 avril et 7 mai prochains, d’après un récent sondage.
Parallèlement, l’abstention des jeunes grandit elle aussi à vue d’oeil. Selon un sondage réalisé en mars par Ipsos pour l’Association Nationale des Conseils d’Enfants et de Jeunes 52 % des 18-25 ans ne comptent pas se déplacer le 23 avril et 7 mai. Un potentiel de néo ou re-votants sur lequel le FN lorgne ouvertement. Le parti, qui se sait en manque de réserves de voix, y voit un véritable vivier « Je le dis aux jeunes de France, souvenez-vous que vous ne pourrez réellement connaître l’indépendance que si vous exercez aussi votre souveraineté dans les urnes».