Les rats s’emparent du sud-ouest. Ils seraient aujourd’hui 500 000 à s’amuser dans les galeries souterraines de Bordeaux. Errant dans les égouts, fouinant aux alentours des poubelles, ils effarent et répugnent. Mais pourquoi tant de haine? C’est dans le culte de l’hygiène qu’il faut chercher des réponses. Zineb Dryef, avait la phobie de ces rongeurs. Elle en a fait un livre, Dans les murs (2015). Aujourd’hui, elle regarde volontiers Ratatouille et apporte ses éclairages.
En deux ans, le nombre d’opérations de dératisation a augmenté de 41% en France. Zineb Dryef, est-ce qu’on a toujours chassé les rats?
On a toujours combattu les rats. Partout où vivent les êtres humains, il y a des rats. Ces rongeurs ont très longtemps été un enjeu de santé publique majeure pour les grandes villes. En enquêtant à leur sujet, je me suis rendue compte que l’histoire de Paris est très liée aux rats. Des congrès internationaux se sont d’ailleurs tenus dans la capitale, pour trouver des solutions aux troubles engendrés par ces petits animaux.
Au fil de l’histoire, les méthodes se sont multipliées. En début de XXe siècle, la ville de Paris déploie des chiens, entraînés à chasser les rats. Dans les ratodromes, canidés et rongeurs s’affrontent. Ces duels officieux sont l’occasion de paris : combattre les rats devient un loisir.
La littérature du XIXe est assez fascinante à ce sujet. On trouve de nombreux textes faisant référence à des chasseurs de rats, qui déambulent dans les rues de la capitale la nuit. L’imaginaire autour de ces rongeurs a aussi été influencé par la présence de marchands de mort-aux-rats. Ces derniers sont d’ailleurs à l’origine de la mort de nombreux animaux domestiques. Leur poison a même alimenté les récits de grands faits divers.
L’image du rat est indissociable de l’idée de risque. Il reste notamment très associé à la peste. La transmission de maladie est-elle le principal motif de sa traque?
A l’origine, on lutte contre les rats parce qu’ils rongent, ils détruisent. C’est seulement à la fin du XIXe siècle que l’on fait le lien entre rats et peste. Il y a une véritable bascule dans la lutte contre ces rongeurs à Paris. Les chasseurs de rats ne sont plus seuls en lice : l’Institut Pasteur entre dans la partie de chasse.
En 1920, l’Institut s’allie avec la Préfecture pour créer le Laboratoire du rat. Il s’agit de contrôler les rats pour vérifier qu’ils ne sont pas porteurs de la maladie. On dresse des cartes de la capitale, mettant en évidence les quartiers touchés. La création de cet organisme fait suite à une petite épidémie, l’avant-dernière en France, dans le quartier des Chiffonniers.
Encore aujourd’hui, les autorités craignent davantage la panique liée à une suspicion d’épidémie que la peste elle-même. Le rat demeure toutefois un vecteur de maladies, comme la leptospirose, dont les bactéries se propagent par l’urine des animaux.
En plus d’être une menace, le rat serait sale. Ce petit mammifère est-il réellement moins propre que les autres animaux?
Il n’y a pas d’animal sale en soi. Le dégoût que l’on peut éprouver pour les rats est surtout lié à leur habitat, c’est à dire les égouts. Nos sociétés sont devenues très hygiénistes. On ne vit plus dans les villes avec les animaux ; on n’a pas envie de vivre avec eux. Les seules personnes qui croisent des rongeurs, ce sont les dératiseurs ou les égoutiers. Ces derniers connaissent aussi des réactions de rejet de la part de la majorité de leurs pairs. Ils sont l’incarnation, malgré eux, du lieu où ils évoluent.
En fait, notre répulsion des rats dit beaucoup de notre rapport à la saleté. On a bien du mal à se confronter à nos propres déchets. A cet égard, les rats on presque un rôle écologique : ils dévorent chaque année des tonnes d’ordures!
En janvier 2018, la vidéo des employés de la Ville de Paris montrant une poubelle qui regorge de rongeurs devient virale. Source : chaîne Youtube « Trouve Presque Tout »
La littérature du XIXe siècle fait état de cas de viande d’animaux improbables en France… Y-a-t-il vraiment une époque où les Parisiens mangeaient du rat?
La viande de rat au moment de la Commune de Paris a été très médiatisée. Mais c’est justement parce qu’elle a été beaucoup relatée qu’on peut considérer qu’elle reste une incongruité. A l’époque du siège de Paris par les Prussiens, en 1870, les réserves alimentaires sont en effet limitées. On se met alors à consommer des viandes inhabituelles : les animaux des Jardins des plantes et d’acclimatation, des chevaux, des chiens ou des rats. La consommation de rongeurs reste donc une extravagance.
Il n’y a pas de culture où l’on mange du rat parce que c’est un met fin. Ce sont souvent des contextes de guerre ou de famine qui engendrent ces pratiques.
En 2007, le dessin-animé Ratatouille met en scène un jeune rat qui devient chef cuisinier. Dans ce Disney, le rat n’écœure pas le spectateur…
Effectivement, c’est assez drôle d’avoir choisi le personnage d’un rat pour parler de gastronomie. En plus d’être tout à fait sympathique, le rat dans cette fiction est en plein dans la cuisine. C’est assez notable. D’habitude, au cinéma, il est même très antipathique. Le rat répond aux fantasmes de l’invasion et à la dévoration.
Il y a une réelle ambivalence dans la figure du rat. En même temps qu’il répugne, il fascine. Que ce soit dans les romans, dans les films, ou en psychanalyse, sa représentation demeure ambiguë.
Zineb Dryef, Dans les murs, les rats, de la grande peste à Ratatouille, Don Quichotte Editions (2015) 304 p., 18,90 €