Loïc Le Pape : « Les convertis à l’Islam souffrent d’aprioris négatifs »

Amalgames, idées reçues… Bien souvent les questions autour de la conversion à l’Islam font l’objet de raccourcis. Loïc Le Pape, chercheur à l’IDEMEC spécialisé depuis dix ans dans ce domaine livre à Imprimatur quelques précisions autour de ce sujet. Interview.

Dans son livre « Une autre foi », Loïc Le Pape expose les résultats de l’enquête qu’il a menée entre 2002 et 2012.

 

On entend beaucoup parler de la conversion dite « radicale ». Existe-t-il un amalgame entre conversion à l’islam et radicalisme ?

Oui, bien sûr. On confond la question des conversions religieuses avec les conversions radicales. C’est celles dont on entend le plus parler mais que l’on connaît le moins. Les histoires de jeunes qui choisissent cette religion puis partent en Syrie ne manquent pas. Pourtant, c’est ultra-minoritaire. Cela ne représente que 1500 voir 2000 personnes.

Est-il possible d’avoir des statistiques précises autour de cette question ?

Absolument pas. La querelle des chiffres est un faux débat. Il y a deux raisons à cela. D’une part, les statistiques ethniques – faisant mention de la religion – sont interdites en France. D’autre part, il y a plusieurs façons de se convertir. On peut le faire dans une mosquée, mais également dans son salon devant deux témoins en prononçant la Chahada. Ces conversions-là échappent par nature à toute dimension comptable.
Bernard Godard a estimé après des années d’études qu’il y en avait en France entre 35 000 et 50 000 convertis, mais ça reste sa propre estimation et elle date d’au moins cinq ans.

Une personne qui choisit l’Islam s’expose-t-elle davantage aux discriminations et stigmatisations ?

Il est beaucoup plus difficile de faire accepter cette religion qui souffre d’un apriori négatif. Mais cela n’est pas forcément dû au radicalisme. L’Islam est en concurrence avec le Christianisme pour certains. Il est également associé aux blessures coloniales. Et puis c’est la religion de beaucoup de personnes issues de classes populaires reléguées dans des quartiers mal intégrés. C’est davantage là dessus que se jouent ces malentendus.

Donc le contexte terroriste de ces derniers jours et mois n’a aucun impact sur ce sujet ?

Il renforce cette stigmatisation mais n’explique pas tout. L’Islam a mauvaise presse depuis longtemps… Il n’a pas fallu attendre les premiers départs en Syrie et la constitution de l’Etat Islamique en 2011 et 2013 pour observer ce phénomène.

Quels sont les différents types de conversion autres que celles considérées comme radicales ?

On peut schématiquement dégager trois autres types de conversions. Il y a tout d’abord celles d’ordre spirituel, intellectuel. Elles concernent les personnes qui adhèrent au Soufisme c’est-à-dire à la mystique musulmane.
Il existe un autre type que j’appelle les conversions affinitaires ou de proximité. Cela peut-être quelqu’un qui a grandi dans un environnement musulman et qui a été touché par la ferveur religieuse lors du ramadan par exemple. La découverte du Coran peut également motiver le changement de religion.
Le troisième type est la conversion que j’appelle instrumentale. On l’observe très souvent lors d’un mariage. Une personne va se convertir pour épouser son conjoint ou sa conjointe. Pour un homme, c’est obligatoire. Dans le cas contraire, ça ne l’est pas même si énormément de femmes le font quand même pour des raisons sociales.

Est-ce qu’une personne qui change de religion avec une motivation spirituelle peut-elle à terme tomber dans une forme de radicalisme ?

Il peut y avoir une certaine intransigeance intellectuelle mais pas de passage à l’acte. Du moins je n’y crois pas. La conversion spirituelle est vraiment liée au mystique. Ce sont généralement des gens bien intégrés. Il n’y a de passage vers le radicalisme politique tel qu’on l’entend aujourd’hui pour ces personnes. Il ne faut pas oublier que les salafistes et les djihadistes combattent les Soufistes.

Propos recueillis par Pierre Steinmetz

 

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