
Le 25 mai célèbre la santé maternelle dans le monde. L’occasion de parler d’un trouble encore trop peu médiatisé : la dépression post-partum. Imprimatur s’est rendu dans le Jardin Public bordelais, pour recueillir le témoignage de femmes qui ont enduré des souffrances psychologiques après leur accouchement, parfois pendant plusieurs années.
« Je sais que certaines femmes se sont suicidées… Quand je vivais ça, j’ai regardé sur Internet, j’ai découvert le post-partum, et j’ai compris ce que je traversais. » Lima, resplendissante dans son tailleur blanc, surveille du coin de l’œil sa fille de six ou sept ans, qui s’est hissée au sommet d’un tourniquet. Assise sur un banc du Jardin Public, à Bordeaux, elle raconte en souriant la dépression dont elle a souffert à la suite de son accouchement.
« Je n’arrêtais pas de pleurer. À la maternité, je refusais de prendre ma fille avec moi, j’avais peur de ne pas l’aimer. Je me suis séparée de son père après trois mois. J’avais l’impression qu’il ne m’aidait pas, que le monde entier était contre moi. » Seule, à la force des poignets, elle s’est sortie de sa dépression du post-partum, une souffrance psychologique qui survient après l’accouchement et dure des semaines, des mois, voire des années. Le souvenir, cependant, reste encore vivace. « Ma mère m’a dit “t’inquiète, tu vas oublier”, mais franchement, je me demande si j’ai envie d’en faire un autre », confie Lima avec un petit rire.
De l’autre côté de l’aire de jeu, une femme dans la trentaine* suit des yeux son fils qui dévale un toboggan. La main en visière, elle raconte : « Il a trois ans et demi aujourd’hui. Je pense que j’ai commencé à retrouver “goût à la vie” quand il avait deux ans et demi. Ça peut être très long, et surtout on ne s’y attend pas. » À l’époque, elle ne s’est pas rendu compte de son mal-être, ce qui l’a empêchée de chercher de l’aide auprès de son entourage ou de professionnels de la santé. « Aujourd’hui, j’attends mon deuxième enfant. Je vais mieux préparer mon post-partum, mais surtout je vais demander de l’aide. »
Un trouble répandu mais tabou
Ces deux mères sont loin d’être des cas isolés. Selon une enquête de Santé publique France publiée en 2021, 16,7 % des femmes étaient concernées par des troubles psychologiques durables à la suite de leur accouchement. Le suicide est d’ailleurs la deuxième cause de mortalité du post-partum. D’ailleurs, au Jardin Public toutes les femmes interrogées, si elles n’ont pas vécu un post-partum difficile, connaissent une amie, une cousine, une sœur, pour qui « ça a été très dur ». Pourtant, le sujet demeure sous-médiatisé.
©Louise JOUVESHOMME
« C’est peut-être un petit peu honteux », déplore Sophie Darier, référente bordelaise du réseau associatif d’orientation et d’écoute Maman Blues. « Une grossesse, une maternité, c’est censé être quelque chose de très joyeux – et ça l’est, c’est une nouvelle vie qui arrive. Alors à ce moment-là, dire “moi, ça ne va pas du tout. Ce bébé, même si je l’aime énormément, ne m’apporte pas que du bonheur, loin de là”, ça peut être difficile. »
L’association Maman Blues permet aux mères de partager leur expérience via un forum, ou de se confier à des référentes locales formées à ce sujet et ayant elles-mêmes vécu un post-partum difficile. Celles-ci peuvent alors orienter vers des professionnels de la santé ou des structures médicales. À Bordeaux, l’hôpital Charles Perrens possède notamment une unité psychiatrique mère-enfant spécialisée dans les troubles postnataux.
La solitude institutionnalisée
Un mot revient dans tous les témoignages, en cette chaude journée de mai, au milieu des cris des enfants et du cliquetis des balançoires : solitude. Il y a la grossesse, les attentions de l’entourage et de la société elle-même, qui ménage des places prioritaires dans les transports en commun et autorise à couper les files, la société et l’entourage qui reconnaissent à la personne enceinte le besoin d’être aidée et soutenue. Puis arrive l’accouchement. Finies les files prioritaires. « Pourtant, témoigne cette jeune mère qui berce sa fille à l’ombre d’un arbre, même à neuf mois, je pouvais rester debout et faire la queue pendant plusieurs minutes. Maintenant, c’est impossible. Le corps reste affaibli – voire dans mon cas s’affaiblit plus encore – après l’accouchement. »
Outre cette fatigue physique, il y a aussi la perspective de se retrouver d’un coup chez soi, avec un enfant et seule. Le congé maternité s’étend entre 10 et 22 semaines après l’accouchement, mais le congé parental du ou de la conjoint·e ne dépasse pas 25 jours. « Ça a été dur quand mon mari a repris le travail, se souvient cette mère venue avec sa fille adolescente – il n’y a pas d’âge pour la balançoire. Je me retrouvais seule à longueur de journée avec un petit être dont je ne comprenais pas le langage et dont j’avais l’entière responsabilité. » À l’ombre de son arbre, la jeune mère se lève avec précaution pour ne pas réveiller sa fille. « Je pense qu’il faut le vivre pour comprendre ce que c’est », murmure-t-elle. « Accoucher, avoir un nourrisson de quelques jours qui se réveille toutes les deux heures, et être toute seule. »
À l’étranger, le congé paternité n’est pas nécessairement plus court que le congé maternité. La Suède, souvent citée en exemple dans ce domaine, permet aux deux parents de se partager 480 jours d’arrêt de travail, dont trois mois sont réservés à chacun.
Il existe une ligne nationale d’écoute et de prévention du suicide, gratuite et accessible 24h/24, 7j/7 au 3114.
À Bordeaux, le Centre hospitalier Charles Perrens dispose également de Questions Psy, un service téléphonique d’orientation psychologique au 0 800 71 08 90, joignable du lundi au vendredi de 10h à 17h30.
*Toutes les personnes dont le nom n’est pas mentionné ont souhaité demeurer anonymes.
Louise JOUVESHOMME