Le forum européen Cartoon Movie, organisé au Palais des Congrès de Bordeaux du 5 au 7 mars, réunit près de 850 professionnel·les de l’animation. Vingt-cinq ans après sa création, l’événement a réussi à devenir incontournable dans le monde du cinéma animé.
Ce mardi 5 mars, le Palais des Congrès de Bordeaux prend un accent européen. Dès 14h, les professionnel·les de l’animation se pressent à l’accueil pour récupérer leurs badges, sésame d’accès au forum Cartoon Movie. Depuis 1999, l’événement est devenu incontournable dans le secteur de l’animation. Avec ses 850 producteur·rices, distributeur·rices ou agent·es de vente, le forum s’est fixé dans la capitale girondine depuis 2017, notamment grâce aux nombreux studios de production présents dans la ville.
L’événement permet aux producteur·rices d’exposer leurs projets naissants aux financeur·euses venu·es pour l’occasion. Chaque nouveau film dispose de 20 minutes de « pitch » devant un parterre de professionnel·les. Le CNC, les régions et même des entreprises privées sont des acteur·rices incontournables pour débloquer des fonds. Chaque seconde compte pour convaincre.
Un tremplin qui a fait ses preuves
Annick Maes, directrice générale de l’association Cartoon, à l’origine du projet, avait de quoi se réjouir le 23 février dernier. Parmi les quatres nominés au Césars du meilleur film d’animation, trois étaient passés par l’événement bordelais, dont le gagnant « Linda veut du poulet ! ». « On est toujours contents, on est fiers quand un de nos films est sélectionné. On regarde aussi avec impatience les Oscars. Cette année, dans les quinze films d’animation européens, douze sont passés par le Cartoon Movie. »
Pour Aymeric Castaing, cofondateur du studio Umanimation, l’expérience a été concluante : « Notre dernier film « Long Time a Girl » a été présenté l’année dernière à Cartoon Movie. Ça nous a permis de débloquer plusieurs financements notamment de la région et c’est grâce à ces fonds qu’on a pu avancer et proposer aux distributeurs un projet plus abouti. » Le pilote du film est en ce moment présenté à des investisseurs.
« L’effervescence du secteur est un peu retombée »
La place prise par Cartoon Movie est d’autant plus prépondérante que la profession a connu plusieurs secousses ces dernières années en termes de financement. « Le Covid a impacté toute l’industrie du cinéma, et notamment l’animation. Avec la baisse de la fréquentation des salles, les budgets des distributeur·rices ont baissé, ce qui complique un peu les choses », continue Aymeric Castaing, dont le studio produit des jeux vidéo et des films d’animation depuis 2017.
Autre ombre au tableau, la manne financière venue des plateformes de streaming en ligne, très importante il y a cinq ans, a baissé de manière significative. « L’animation a vécu un âge d’or il y a quelques années. Les réalisateurs se bousculaient et les studios de production et de graphisme étaient presque saturés, explique Jérémie Périn, réalisateur du film « Mars Express ». Dernièrement, plusieurs projets ont été abandonnés en France, notamment par Netflix. L’effervescence qu’on a connue est un peu retombée. »
Une productivité record en Europe
Malgré le ralentissement de son économie, le cinéma d’animation français conserve sa place centrale, notamment à l’international. Troisième marché mondial derrière les ogres japonais et américains, la France a lancé 45 projets en 2023, une productivité record en Europe. Cette domination se ressent à Cartoon Movie puisque sur 55 films retenus, quinze sont tricolores, soit dix de plus que n’importe quelle autre nationalité.
Cartoon Movie a la particularité de suivre les films d’animation tout au long du processus de production. Chaque idée peut être présentée sous forme de simple concept, de projet en développement ou encore en production, n’attendant plus qu’un dernier coup de pouce avant la finalisation.
« C’est important pour nous de pouvoir être soutenus tout au long du projet, détaille Aymeric Castaing. Comme nous, beaucoup de studios ont des moyens limités, donc même pour produire un premier pilote, on a besoin d’avoir des financements. »
« Une génération de réalisateurs a été biberonnée à Cartoon Movie »
La créativité coûte cher pour les studios. En moyenne il fallait débourser 7,2 millions d’euros pour un film d’animation en 2022, contre 4,5 millions pour un film de fiction. « C’est un secteur particulièrement coûteux, abonde Philippe Touzery, producteur associé chez Les Films du Poisson Rouge, qui présente « Picasso à Royan » cette année. Il faut créer un scénario, un univers visuel… Et forcément ça demande beaucoup d’argent. »
Une contrainte supplémentaire qui peut parfois faire peur aux financeur·euses. « Les investisseurs préfèrent s’appuyer sur ce qui a déjà marché en salle, c’est une sorte de réflexe de confort. En France, ce sont notamment des films d’animations plus sérieux ou historiques comme « Persepolis ». C’est à nous de faire évoluer les choses et de créer de nouvelles références, » analyse Jérémie Périn.
Forte de films indépendants comme Mars Express et ses 200 000 entrées ou de la superproduction Miraculous qui a atteint les 1,6 millions de spectateur·rices en 2023, l’animation française a encore de beaux jours devant elle. Pour Aymeric Castaing, Cartoon Movie a été central dans cette réussite. « C’est un incontournable, presque tous les films d’animation français y passent. Et si la scène est vivante aujourd’hui, c’est aussi qu’on a toute une génération de réalisateurs et de producteurs qui ont été biberonnés à l’animation grâce à Cartoon Movie. »
Marius Joly et Lisa Défossez
Pour aller plus loin :
- David Letemple, parcours d’un electron libre de la voix-off et du doublage, par Orianne Gendreau et Paul Florequin
- Les étudiant·es en animation à 3iS esquissent leur projet professionnel, par Alexis Girard
- L’animation toujours en quête de mixité : «La diversité, c’est la clé !» par Agathe Di Lenardo