Mardi 12 décembre, l’intersyndicale des lycées professionnels a appelé à une grève nationale contre la réforme du lycée professionnel appliquée depuis la rentrée. À Bordeaux, une centaine de manifestants se sont rassemblés devant le rectorat pour tenter de faire entendre leur voix.
Une petite centaine de parapluies et de drapeaux sont agglutinés devant le rectorat de Bordeaux. À l’intérieur du bâtiment, une délégation de quatre syndicats représentant les lycées professionnels s’entretient avec Anne Bisagni, rectrice de l’académie de Bordeaux. Sur la table : l’application de la réforme du lycée professionnel mise en place progressivement depuis la rentrée. Les espoirs ont très vite étaient douchés : « Le rendez-vous n’a rien donné, en face on a bien vu le rouleau compresseur du mépris », déplorent celles et ceux qui se sont fait porte-parole des syndicats. Sollicité, le rectorat de l’académie de Bordeaux n’a pas donné suite.
La mobilisation est elle aussi décevante pour ses organisateurs. La faute est rejetée sur la pluie mais la réalité est plus complexe. Seuls les professeurs concernés par la réforme se sont mobilisés. Les enseignants des lycées généraux n’étaient pas présents. « On s’attendait à plus de monde », admet Jérôme Jolivet, secrétaire académique du SNUEP-FSU.
Une baisse des savoirs fondamentaux
La plupart des professeurs manifestants sont même des enseignants de matières fondamentales : français, mathématiques, histoire. Ce sont eux qui s’estiment les plus lésés par la réforme qui laisse le choix aux élèves entre six semaines de stage en fin de terminale ou six semaines de cours fondamentaux s’ils souhaitent poursuivre leurs études. Un changement qui engendre l’avancement des épreuves fondamentales du baccalauréat.
« On a déjà plus qu’une heure trente en CAP et trois heures trente par semaine en bac professionnel pour enseigner histoire, français, enseignement moral et civique et géographie », s’indigne Géraldine Jousseaume professeur de lettres-histoire et co-secrétaire académique du SNUEP-FSU. Julie Maysonnave, professeur de sciences techniques médico-social en bac « service à la personne » partage cet avis : « On a déjà du mal à boucler nos programmes. En nous enlevant six semaines, les élèves devront se préparer aux épreuves chez eux. » Géraldine va même plus loin : “Je ne veux pas faire des bons petits soldats, mais des citoyens ! Je ne veux pas faire de la main-d’œuvre servile. »
Stage en bac pro : les PME à la peine
Les syndicats accusent le gouvernement de vouloir supprimer l’enseignement professionnel scolaire et de déléguer ces formations aux entreprises à travers l’apprentissage. Eric Mouchet, secrétaire académique du SNETAA-FO analyse pourtant que l’insertion des lycéens professionnels est aussi bonne que celle des apprentis : « On voit qu’à six mois et trois ans après le bac, l’insertion est meilleure pour les lycéens. »
Des choix économiques
Julien Alemany, professeur de lettres et histoire à Mont-de-Marsan pointe du doigt « une réforme inégalitaire notamment en terminale ». « Les élèves sont souvent d’origine précaire donc il est plus probable qu’ils fassent le choix de la rémunération et donc des six semaines de stage ». Celles-ci pourront rapporter jusqu’à 600 euros aux élèves de terminale : « Ce n’est pas négligeable pour une famille dans le besoin ».
Dans l’oeil des lycéens : la quête du Saint-Stage
Les profs s’inquiètent autant pour leurs élèves que pour leur avenir et leur poste. Julien Alemany expose le fond du problème. Selon lui, c’est Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l’Enseignement et de la Formation professionnels, qui porte la réforme. Or, c’est auprès du ministre du Travail, du Plein emploi et de l’Insertion qu’elle est en partie déléguée. Même le secteur agricole retient son souffle. S’il est pour l’instant épargné par la réforme, « il finira par l’être », estime Flavien Thomas, enseignant à Mont-de-Marsan en lycée agricole.
Les craintes des professeurs
De toutes les formations concernées, le secteur tertiaire est le plus touché par cette réforme. A Saint-Médard-en-Jalles, le lycée Jean du Perrier verra ses filières du tertiaire fermer en 2024. Les inquiétudes sont d’autant plus fortes que certains établissements ne proposent que du tertiaire, pointe Géraldine Jousseaume. Ce sont des établissements entiers qui pourraient fermer demain.
Christophe, enseignant de la filière AGOrA : « On a l’impression d’être punis »
Une autre crainte qui revient dans les discours est celle de l’annualisation du temps de travail. Les emplois du temps des professeurs seront lissés sur l’année plutôt que sur le mois. Avec la réforme qui prévoit six semaines de stage, des semaines de formation autrefois limitées à 18 heures pourraient atteindre les 35 heures.
Ce jeudi 14 décembre, le conseil supérieur de l’éducation validera ou refusera la réforme des lycées professionnels. Mais pour Géraldine Jousseaume, le caractère uniquement consultatif du conseil l’empêche d’avoir un pouvoir sur la réforme : « À chaque fois que le CSE a refusé, le gouvernement a quand même appliqué ses propres plans ».
Loéva Claverie et Damian Cornette