Mercredi 22 janvier, au lycée Élie Faure de Lormont, enseignants et élèves font front commun pour dénoncer une réforme « injuste » et « désorganisée » alors que débute l’épreuve anticipée de français pour les premières STMG.
Une vingtaine de professeurs du secondaire sont venus de Libourne, Cenon ou de Bordeaux pour joindre leur grogne à celle des lycéens d’Élie Faure à Lormont. Tracts à la main, étiquettes syndicales affichées fièrement sur les vêtements, ils se montrent solidaires des adolescents opposés à la réforme du baccalauréat, à quelques minutes de la première épreuve de la filière STMG.
Fronde des enseignants contre Blanquer
Entonné avec vigueur par les professeurs, le chant « Jean-Michel-Blanquer, ministre autoritaire, on ne veut pas bosser pour toi » vient bouleverser le calme habituel de cet établissement lormontais. Et reprise en cœur par plus de 200 lycéens rassemblés en sit-in ou entassés à proximité du portail, téléphones à la main, la mélodie des travailleurs de l’Education nationale résonne. Elle souligne l’incompréhension du corps enseignant face à la réforme du bac, votée l’année dernière
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Karim enseigne les mathématiques au lycée Élie Faure, c’est l’un des seuls professeurs de cet établissement du sud de Lormont mobilisé devant la grille pour soutenir ses élèves. «Les lycéens se sont joints à nous pour chanter, ils comprennent notre lutte, donc je suis également présent pour soutenir les élèves qui font un sit-in pour s’opposer aux E3C ». Ses confrères abondent dans son sens « il existe un lien de confiance entre les professeurs et les élèves, c’est notre devoir d’être de leur côté » témoigne l’un d’entre eux. Face aux grévistes, l’Education nationale s’est organisée. «Ils recrutent large pour remplacer les professeurs grévistes, afin d’assurer la bonne tenue des épreuves . Il a été demandé au personnel administratif de remplacer les surveillants en grève» raconte exaspéré un professeur du lycée Mauriac, venu soutenir les lycéens d’Élie Faure. Une de ses collègues renchérit « ce sont aussi des retraités de la fonction publique qui font la surveillance. Un monsieur de 83 ans s’est blessé en surveillant les épreuves, il s’est cogné contre un muret ».
Les chants, vecteurs d’unité pour les professeurs et élèves mobilisés devant le lycée Elie Faure. Crédit vidéo: Alexis Montmasson.
Les enseignants qui protestent contre cette réforme craignent également des sanctions. « Outre une retenue sur le salaire, on s’inquiète aussi des menaces de sanctions administratives qui pèsent sur nous » indique une enseignante d’un lycée de Cenon. «Il faut être un grand nombre pour éviter les risques, mais quand on a des convictions on est obligé de prendre ce risque. Malheureusement, plein de collègues signataires de la pétition contre la réforme ne sont pas allés au bout du cheminement en se mettant en grève » regrette l’enseignante mobilisée qui dénonce une « désorganisation imposée de manière autoritaire ».
Devant le cortège de professeurs, un homme attire l’attention. « Il est du rectorat, ils essaient de nous ficher» ironise un enseignant. Emmitouflé dans sa parka Canada Goose, il scrute avec intérêt les mouvements des contestataires. «Vous savez, on est là pour aider l’ensemble de la communauté éducative, pour faire de la médiation et de la communication » se défend le trentenaire effectivement rattaché au rectorat. Pour lui pas de place au doute, «l’épreuve du matin va se dérouler normalement ».
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« Les épreuves commencent à 10 heures mais les élèves sont toujours là »
Pourtant à la sonnerie des 10 heures, synonyme du début des épreuves, les élèves sont toujours amassés devant le portail ou rassemblés sous le préau. « les épreuves commencent à 10 heures mais les élèves sont toujours là » se réjouit un enseignant du lycée bordelais Gustave Eiffel.
Sous les klaxons des automobilistes acquis à leur cause, les élèves s’indignent. « On est le brouillon du nouveau bac, ils vont sans doute changer les choses les prochaines années » déplore une élève de première générale avec amertume.
« On est perdu » renchérit timidement une camarade de classe, « ils nous demandent de choisir nos 3 matières au début de l’année de première ». Le choix est cornélien pour de nombreux élèves. «avec le nouveau tronc commun soit on arrête totalement les maths soit on décide de faire des maths ultra poussées, ce n’est pas logique » évoque une lycéenne visiblement perdue dans son orientation scolaire.
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Prenant exemple sur les lycées voisins, les élèves d’Élie Faure rêvent d’obtenir des changements concrets grâce à leur mobilisation. « Juste à côté, au lycée des Iris, ils ont réussi à déplacer les épreuves de plusieurs heures. Si on est solidaire ça peut marcher ». Toutefois, la possibilité d’un boycott des épreuves divise les étudiants.
«J’ai peur de ne pas avoir mon bac, de la réaction de mes parents » martèle un lycéen qui s’apprête à rentrer dans l’enceinte de l’établissement. Derrière les grilles du lycée, plusieurs élèves ont décidé de boycotter leurs épreuves alors que certains camarades ont déjà le nez penché sur leur copie. Dopés par l’émulation du sit-in collectif, plusieurs élèves proposent une vision beaucoup plus optimiste. «Le zéro peut faire peur, mais c’est le nombre qui crée le rapport de force ». Plus loin, un élève mobilisé s’est emparé du microphone laissé par les professeurs sur les dalles. Le discours et saccadé mais le message tient en quelques mots; «la vie de ma mère, on ne va pas les passer les E3C. » Une parole déterminée symbole d’une vive contestation des lycéens alors que le baccalauréat ne fait que débuter.