Le dépistage du cancer colorectal à Bordeaux, une priorité qui ne convainc pas assez

À l’occasion de Mars bleu, des professionnel·les de santé et d’ancien·nes patient·es se sont réuni·es à la clinique Tivoli-Ducos de Bordeaux pour sensibiliser au dépistage du cancer colorectal. Peu dépisté, il fait pourtant partie des maladies bien soignées s’il est détecté à temps.

Ce matin du 12 mars 2024, plusieurs personnes s’activent pour monter des stands dédiés à Mars bleu dans le hall de la clinique privée Tivoli-Ducos, à Bordeaux. Autour, quelques patient·es et visiteur·euses observent la scène d’un œil intrigué. Isabelle Laville, médecin du Centre régional de coordination des dépistages des cancers (CRCDC) de Nouvelle-Aquitaine, attend les bras croisés que son stand soit assemblé. Elle est venue avec plusieurs de ses collègues pour sensibiliser le public sur Mars bleu, un mois dédié à la prévention du cancer colorectal. « En moyenne, une personne sur trois se fait dépister régulièrement. C’est très insuffisant car pour avoir une bonne efficacité sur ce test, il faut le faire une fois tous les deux ans, entre 50 et 74 ans », précise-t-elle.

Isabelle Laville, médecin coordinatrice territoriale au CRCDC de Nouvelle-Aquitaine, informe une personne sur le cancer colorectal. / Photo : Maxime Sallé

Impulsée par l’Institut national du cancer dès 2008, cette campagne nationale se déploie dans tous les départements. Cette mobilisation touche prioritairement le secteur public, sans pour autant exclure le privé.

À la clinique Tivoli-Ducos par exemple, le docteur Vincent Assenat a voulu en faire une priorité et a invité plusieurs organismes dont le CRCDC de Nouvelle-Aquitaine et la Ligue contre le cancer. « L’absence de dépistage tue », plaide le chirurgien. « Aujourd’hui, les autorités sanitaires n’arrivent pas à convaincre plus de gens à se faire dépister. Vous connaissez le film Black Panther ? L’acteur est mort à 43 ans d’un cancer du côlon. Ça veut dire que même les super-héros peuvent en mourir. »

Vincent Assenat, chirurgien colorectal et membre de la Bordeaux colorectal institute à la clinique Tivoli-Ducos. / Photo : Maxime Sallé

« On manque clairement de communication »

« On n’a pas vraiment de porte-parole. On n’a pas la chance d’avoir une Angelina Jolie qui a fait toute la presse nationale et internationale pour sensibiliser sur le cancer du sein. On manque clairement de communication », se désole Vincent Assenat. Il désespère que ce cancer ne soit pas plus mis en avant, alors qu’il est l’un des plus meurtriers et des plus fréquents en France. 

Pourtant, selon les professionnel·les de santé, le cancer colorectal se soigne bien s’il est détecté assez tôt. « Neuf fois sur dix, on peut éviter un traitement par chimiothérapie si le cancer est dépisté à temps », note Vincent Assenat. Le problème ? Seuls 35 % de la population âgée de 50 à 65 ans a réalisé un test de dépistage, en 2020.

Le médecin a mobilisé autant de monde que possible pour sensibiliser et informer au maximum sur cette journée. Communication sur les réseaux sociaux, affiches, bouche-à-oreille, rien n’est laissé au hasard. Il imagine déjà la suite : « L’année prochaine, je recommence, mais je serai plus organisé. J’aimerais par exemple que des médecins généralistes mettent des affiches dans leur salle d’attente ».

Ce matin-là, de nombreuses infirmières et infirmiers se pressent autour des stands pour se renseigner sur le cancer colorectal. « On veut pouvoir informer nos patients et nos familles pour sensibiliser sur les risques », explique Maéva Javaloyes, infirmière de la clinique.

Lever un tabou

Les professionnel·les soignant·es ne sont pas les seuls mobilisé·es sur cette journée. Beaucoup de patient·es participent à ces événements. À Bordeaux, Stanley Rodriguez-Munoz, 51 ans, soigné d’un cancer colorectal cette année, fait partie du groupe d’intervenant·es. À ses 50 ans, ce contrôleur de la SNCF  a reçu dans sa boîte au lettre une invitation de l’Assurance maladie pour retirer un kit de dépistage du cancer colorectal. Mais il n’a jamais été le chercher. Il avoue : « Comme beaucoup de monde, j’avais peur du résultat. Alors j’ai gardé la lettre dans un tiroir ». Au cours d’une visite médicale, son médecin l’a cependant convaincu de faire le dépistage. « Heureusement que je l’ai fait », souffle-t-il. Aujourd’hui, il s’est rendu à la clinique pour raconter son histoire et sensibiliser le public sur les bienfaits du dépistage.

Stanley Rodriguez-Munoz, 51 ans, a été soigné d’un cancer colorectal cette année. Désormais, il sensibilise le public sur ce qu’il a traversé. / Photo : Maxime Sallé

« Le cancer colorectal reste tabou car il touche la sphère digestive. Ça déroute un peu les patients. D’autant que le dépistage n’est pas radiologique. Il est prélevé sur les selles, donc c’est plus dégoûtant », relève Vincent Assenat. Isabelle Laville perçoit aussi cette gêne : « Il y a les personnes qui craignent de faire ce test, les personnes qui ont peur des résultats, et celles qui n’en voient pas l’intérêt puisqu’elles se sentent en bonne santé. Mais c’est tout le principe du dépistage. Il faut se donner cette chance au stade où il est encore possible de traiter ce cancer dans de très bonnes conditions ».

Hélène Lopez, 58 ans, a changé d’avis et a décidé de se faire dépister après avoir discuté avec des intervenants. / Photo : Maxime Sallé

Hélène Lopez, 58 ans, est venue ce matin à la clinique pour accompagner une amie. Pour passer le temps, elle s’est rendue sur les stands installés dans le hall. Elle aussi, n’était pas convaincue par le dépistage. Mais après avoir passé quelques minutes auprès des intervenants du CRCDC, elle a changé d’avis : « Il n’y a rien à perdre, tout à gagner ». Vincent Assenat espère que d’autres personnes en fassent de même : « Si on arrive à donner 100 kits sur cette journée et que 50 personnes les réalisent, c’est une énorme victoire ».

Maxime Sallé & Adrien Voyer

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