Non-mixité : un moyen de lutte contre la confiscation de la parole

Difficile pour certaines femmes ou minorités de genre de s’exprimer librement sans se faire couper la parole lorsque des hommes sont présents. Pour pallier ce problème, plusieurs militant.es ont choisi la non-mixité lors de leurs actions ou au sein de leur collectif. Rencontres avec Vanessa, colleuse de Bordeaux et Marie de l’AG féministe Gironde.

Vanessa a 28 ans, elle travaille dans la fibre optique la semaine, et dans un bar bordelais le week-end. Mais certains soirs, son terrain de jeu change pour s’étaler sur les murs de la ville. Depuis 2020, la jeune femme exprime sa colère au travers de messages féministes afin d’éveiller les consciences des passant.es sur les discriminations faites aux femmes et aux minorités. Mouvement en pleine expansion partout en France, vous n’avez pas pu rater les fameux « Patriarcat on aura ta peau » ou « Pas une de plus » peints en noir dans la ville. Le collectif de colleur.euses fonctionne en non-mixité choisie : sans homme cisgenre (personne dont l’identité de genre, masculin ou féminin, correspond au sexe avec lequel elle est née.) « Il y a plusieurs  personnes qui ont des traumatismes liés à des hommes cis donc c’est nécessaire d’avoir des espaces safe où tu peux te sentir en sécurité, entre gens qui se savent », raconte la colleuse (NDLR).

La fatigue du mansplaining

« Non mais tu sais les règles c’est pas si douloureux que ça, j’ai fais des études là-dessus » , un exemple parmi tant d’autres qui illustre ce qu’est le mansplaining : un homme qui prend la place d’une femme pour expliquer ce qu’elle vit, son combat, son ressenti. Aborder sa lutte féministe de façon pédagogique, c’est ce que Vanessa ne veut plus faire : « Grâce à la non-mixité, on gagne du temps, de l’énergie, de la santé mentale. C’est une certaine façon de s’assurer une sécurité, de ne pas être mansplainée, de ne pas se justifier. »

La safe space convainc Marie, 26 ans et membre de l’AG féminsite de Gironde, que la non-mixité est nécessaire dans la lutte féministe. Avec l’association Ovaires et contre tous, elle coordonne le cortège en non-mixité choisie, qui aura lieu pendant la manifestation de nuit du 25 novembre contre les violences liées au patriarcat. 

« Certaines de mes copain.es viennent uniquement parce que c’est non-mixte et qu’elles n’auront pas à gérer des tentatives d’agressions ou des remarques déplacées ».
Vanessa, colleuse à Bordeaux
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C’est ce sentiment de sécurité qui leur permet de venir à la marche. Grâce à la non-mixité, la barmaid du week-end s’est rendu compte du nombre d’individus touchés par des agressions : « Il a fallu qu’on se retrouve entre nous pour libérer la parole, faire une safe place pour faire sortir les traumatismes et s’entraider. »

« On peut se libérer tous.tes seul.es ! »

Organiser une manifestation sans hommes cisgenre ou créer un collectif réservé aux femmes noires relève d’un acte politique (alors même que dès la fin du XXème siècle, les réunions Tupperware,  passées de mode aujourd’hui, pouvaient constituer aussi une forme de résistance). Toutes ces activités amènent les personnes présentes à l’empouvoirement, de l’anglais empowerment :« C’est hyper badass les manifs de nuits non-mixtes » , s’exclame Marie. Marcher ensemble, serrées, pouvoir crier des slogans parfois misandre, « mais on s’en fout on est tous.tes d’accord » , plaisante-t-elle.

La non-mixité donne à Vanessa et Marie cette même sensation de récupération d’un espace qui ne leur est pas destiné. Marie remarque que « politiquement, quand tu marches et qu’il n’y a que des meufs ou minorités de genre qui manifestent, les gens sont interloqués. Ils se demandent ce qu’il se passe parce que c’est pas normal qu’il n’y ait pas d’homme dans le groupe. »

Mais les violences sexuelles et sexistes sont le combat de tous.tes : mixité et non-mixité doivent coexister dans la société. C’est ce que défend Vanessa : « Il y a aussi une grande manif mixte samedi 27. On a besoin d’un maximum d’allié.es pour faire avancer notre lutte et se faire entendre mais il faut que les hommes cis soient derrière et qu’ils nous soutiennent. »

Les femmes et les minorités d’abord !

Selon l’application Woman Interrupted, au cours d’une conversation, un homme interrompt 23% de plus une femme qu’un autre homme. Une étude de la Brigham Young University and Princeton démontre que les hommes dominent 75% du temps de parole au cours d’une réunion ou d’une conférence. Mis en situation, aux États-Unis, lors du débat présidentiel de 2016, on note que Donald Trump a interrompu Hillary Clinton 40 fois, quand elle, ne l’a interrompu qu’une seule fois. 

Prendre la parole lorsqu’on est une femme ou qu’on appartient à une minorité de genre peut relever du sport de combat. Parfois, cette discrimination est conscientisée. Parfois, il s’agit tout simplement de sexisme intégré. C’est à ce moment-là que le pouvoir des réunions en non mixité entre en jeu. Le principe de celles-ci est simple : laisser s’exprimer des personnes, souvent des minorités, sur des discriminations partagées en excluant les groupes sociaux qui les oppressent.

Crédit : Noëlle Hamez sur Canva.

@ana_hadjrabah

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