De la rue au tatami : se défendre contre le harcèlement

A Pessac, les cas d’agressions sexuelles se sont multipliés ces derniers mois, sur le campus. Les  femmes sont démunies  face à des agresseurs  plus forts et plus violents qu’elles. Une jupe soulevée, un pantalon baissé, une lame de couteau sous la gorge. Comment réagir face à des situations compliquées ? Les cours de self défense féminin sont une solution.

Les pas de Laetitia résonnent sur l’asphalte mouillé de la rue Ulysse Despaux, dans le centre de Bordeaux. En tenue de sport, l’étudiante en informatique pousse la porte du Club de Karaté Défense Bordeaux. Un professeur vêtu d’un kimono enseigne l’aïkido à de jeunes enfants.

Cela fait trois mois que Laetitia, 20 ans, s’est inscrite aux cours de self défense, qu’elle suit deux fois par semaine. Angoissée à l’idée de sortir seule le soir, cette pratique est un moyen de se rassurer : « Un soir, je suis rentrée à 3 heures du matin, toute seule, sur une grande distance.  J’avais loupé le tram. J’ai jamais autant flippé. Il ne s’est rien passé mais à un moment, dans une rue où il n’y avait personne, je me suis dit que si quelqu’un arrivait et m’embarquait,  je ne pourrais rien faire. »

Dans le fond de la salle, derrière une porte, le professeur Joackim, 31 ans, l’accueille d’un large sourire. Cet agent de protection rapprochée pratique les arts martiaux depuis 20 ans et donne des cours dans le civil depuis un an.

« Dans la rue, pas de règles : c’est le plus vicieux qui gagne »

 Ils sont cinq ce mardi soir, à 19 heures, à suivre le cours mixte de self défense : « Ce que fait un homme, une femme est capable de le faire. La seule chose qui change c’est que les agressions sur les femmes ne sont pas les mêmes que sur les hommes et ce sont rarement des femmes qui agressent des hommes », affirme Joackim. Il donne aussi des cours de self défense exclusivement féminins tous les samedis : « les agressions envers les femmes sont généralement à caractère sexuel. La défense à adopter est différente et ces cours permettent d’enseigner des techniques adaptées. »

Après quelques minutes d’échauffement – course à pied, flexion, extension – et d’étirement, le cours de self défense commence. Des exercices pratiques de krav maga ou « combat rapproché » en duo, ponctués de mises en situation et de conseils pour savoir se défendre contre son agresseur : « le but est d’acquérir en un minimum de temps et avec le minimum de technique, une efficacité maximale en cas d’agressions dans la rue », explique l’instructeur. L’apprentissage de techniques simples et efficaces permet de transformer des actes réflexes en automatismes de défense.

Laetitia, étudiante répète le mouvement du middle kick (© Alexandra Lassiaille)

En réaction aux multiples agressions sur les campus universitaires, Virginie, 34 ans, admet qu’une psychose s’est installée à Bordeaux. Les étudiants sont les premiers concernés, car les plus exposés à des trajets nocturnes notamment dans le tram. Joackim est clair : « Dans la rue, il n’y pas de règles et c’est le plus vicieux qui gagne ». 

Si les cours de self défense sont complets depuis septembre, Joackim révèle que, ces derniers temps, il y a plus de demandes de cours particuliers de la part de femmes : « La forte demande est liée à la recrudescence  d’agressions. Il y a aussi de plus en plus de femmes qui font appel aux services d’agents de sécurité pour les protéger dans la rue ».

« La rue c’est pas le tatami »  

Les exercices s’enchaînent : low et middle kick, crochets, coups de poing directs, clefs de bras… La première étape est d’apprendre à se dégager d’une situation difficile. Il existe des dizaines de techniques mais faut-il encore avoir confiance en soi : « J’essaie de leur apprendre des attitudes, des gestes qui vont faire que l’agresseur les percevra davantage comme des menaces que comme des victimes », insiste Joackim.

« Le self défense m’aide à reprendre confiance en moi et m’apporte respect et justesse »,  confie Virginie. Cette jeune maman célibataire est très motivée,  « les cours me permettent d’extérioriser ce que je vis actuellement dans ma vie personnelle ». En plus de se rassurer, les cours permettent aux femmes de se reconstruire. Selon le professeur, « dans 90% des cas, les femmes viennent car elles se sont déjà fait agresser ».

Deux élèves simulent une situation d’agression (© Alexandra Lassiaille)

Etre dans le concret et réagir en fonction de l’agresseur qui se trouve en face, c’est un des enseignements que Joackim veut transmettre. « Tout le monde doit savoir se défendre face à quelqu’un de plus fort et de plus violent. »

Plus facile à dire qu’à faire pour Laetitia. La jeune femme, qui compte sur le self défense pour s’endurcir,  a encore du mal à transposer les exercices dans la vie réelle. L’instinct primitif fait « perdre 80% des capacités physiques et intellectuelles lors d’une agression », explique-t-elle. Si l’étudiante n’est pas persuadée de pouvoir reproduire les techniques de défense, elle pense aujourd’hui avoir moins peur d’asséner le premier coup si quelqu’un l’agresse : « J’aurais plus de répartie et j’oserais lui dire de retirer les mains de mon derrière. Alors qu’il y a quelques mois, je ne connaissais pas grand-chose en self défense et je n’aurais pas osé. »

Par Alexandra Lassiaille

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