À Bordeaux, un village féministe était organisé dans le cadre de la journée internationale des droits des femmes, cinq jours après un nouveau féminicide dans le département. Au quotidien, le manque de moyens plombe le combat des associations et des organisations contre les violences faites aux femmes.
Le ciel girondin est gris, ce mercredi 8 mars, mais la pluie matinale a cessé et les stands colorés du « village féministe » égayent un peu la place Sainte-Croix de Bordeaux. Annie Carraretto, présidente du Planning familial de Gironde, est présente. Alors que vendredi dernier, Catherine Martin, a été tuée par son ancien conjoint à Saint-Laurent-d’Arce, difficile pour elle de passer à côté d’un sujet clé : les violences sexistes et sexuelles.
La présidente du Planning familial girondin reconnaît que l’annonce par Elisabeth Borne, lundi 6 mars, de la création de pôles spécialisés en violences conjugales dans les tribunaux, va dans le bon sens.
Annie Carraretto préfère en effet que l’Etat mise sur la création d’une filière spécifique que sur une formation complète, qu’elle pense illusoire, de tout le corps policier. Cela ne l’empêche pas de rester prudente : « Il faudra y mettre des moyens réels, pas des moyens détachés« . Elle prend pour modèle l’Espagne, où des policiers formés protègent la victime jusqu’à son domicile, le temps des procédures juridiques. Le pays a alloué un fond d’un milliard d’euros aux associations spécialisées. Une politique qui a permis de réduire les féminicides de 24% en vingt ans, malgré un regain en décembre dernier.
Peu de moyens mais de la volonté
Le Planning familial de Gironde, comme nombre d’associations, ne manque pas de volonté d’agir. La structure cherche à se développer dans l’ensemble du département, notamment au niveau rural, pour aller au plus près des femmes. Elle compte désormais quatre antennes à l’extérieur de la métropole, contre deux auparavant. « On ne peut pas être partout« , regrette Annie Carraretto. Les moyens manquent, alors que la demande est de plus en plus forte.
Présente, elle aussi, au village féministe, Claudine Bichet, première adjointe au maire de Bordeaux chargée de l’égalité femmes-hommes, se défend. Aux côtés du maire Pierre Hurmic, elle souligne que la ville est très volontaire et tente d’accompagner les associations et les victimes. Dans son tout dernier rapport sur l’égalité femmes-hommes, à l’ordre du jour du conseil municipal de ce 8 mars, Bordeaux confirme avoir alloué 122 800€ aux associations qui viennent en aide aux femmes en 2021. Des fonds qui ne suffisent pas pour pallier les manques étatiques.
“On essaye d’être rassurantes”
Dans un endroit discret du centre commercial de Mériadeck, au deuxième étage, le Point Info Femmes se repère difficilement. « On veut rester cachées car toutes les femmes ne peuvent pas se rendre ici en totale liberté« , admet Lauren Chini, chargée de l’accueil. Fondé par la préfecture pour permettre aux femmes de se confier discrètement alors qu’elles viennent faire leurs courses, le lieu d’écoute, d’orientation et d’accompagnement pour majeures et mineures est ouvert tous les matins du lundi au vendredi. Porté par le Centre d’Information sur les Droits des Femmes et des Familles (CIDFF), ce point bénéficie d’un local prêté gratuitement par Auchan.
Ouvert pendant le confinement alors que les associations avaient eu l’obligation de suspendre leurs activités, il était censé être éphémère. Mais il a été renouvelé une première fois en 2021. Cette année-là, 244 femmes ont poussé sa porte, soit près de trois femmes par semaine. En 2022, ces chiffres semblent avoir encore drastiquement augmenté.
Concrètement, le Point Info Femmes dispose de psychologues et de juristes, pour accompagner au mieux les victimes dans leurs démarches. « Parfois, elles viennent voir la juriste pour comprendre pourquoi leur dossier n’avance pas. On essaye d’être rassurantes. » Et d’ici peu de temps, grâce à un nouveau partenariat avec Emmaüs Connect, le lieu délivrera des téléphones d’urgence.
Sensibiliser au plus tôt
Du côté du Planning familial, Annie Carraretto s’inquiète de l’état de la prévention chez les jeunes, en citant le rapport 2023 du Haut Comité à l’Egalité sur le sexisme en France : 23% des hommes entre 25 et 34 ans considèrent « qu’il faut parfois être violent pour se faire respecter ».
Cela pourrait passer en particulier par une véritable application de la loi de 2001 sur les cours d’éducation sexuelle dans les écoles. Les professeurs sont demandeurs d’après la présidente du Planning familial girondin, mais « encore une fois, soupire-t-elle, c’est une question de manque de moyens« .
Louis Emeriau (@_Louis_Emeriau)
Gilles Foeller (@GillesFoeller)