Valérie Murat milite au sein du collectif Alerte aux toxiques pour la transparence des viticulteurs sur leur usage des pesticides. Sur son site internet, elle publie des analyses de bouteilles de Bordeaux effectuées en laboratoire. Des résultats inquiétants l’ont poussée à amplifier l’opération. Pour financer ces tests, une cagnotte a été lancée le 22 janvier. Avoisinant déjà les 3 000 euros, elle devrait prochainement atteindre les 5 000 requis.
Quel rôle votre collectif entend tenir vis-à-vis des vignobles du Bordelais ?
Celui de dénoncer la réalité des pratiques agricoles. Les institutions locales annoncent des baisses de pesticides mais se cantonnent au marketing et ne proposent rien aux vignerons. L’an dernier, Sylvie Berger, une ouvrière agricole, a gagné un procès historique. Sa maladie de Parkinson a été reconnu maladie professionnelle, à cause des pesticides auxquels elle était exposée. Pourtant la grande majorité des exploitations de la région n’a toujours pas adapté ses pratiques. De notre côté, on fait analyser les bouteilles de vin par un laboratoire agréé par l’état et on publie le résultat sur notre site web pour informer.
Qu’avez-vous trouvé dans ces bouteilles ?
Tout un tas de résidus toxiques qui ne sont pas indiqués sur l’étiquette. C’est un scandale pour les consommateurs mais aussi pour ses ouvriers agricoles qui baignent dedans. Et même pour tous les habitants de la région ! Entre avril et septembre, les viticulteurs épandent des produits dont certains contiennent des CMR. C’est interdit lorsque le vent souffle à plus de 19 km/h. Mais qui vient contrôler la vitesse du vent ? Dans une bouteille, on a même trouvé une substance interdite en France depuis 2008 ! On pense qu’ils se procurent ces produits en Espagne ou en Italie. Une réglementation européenne existe mais personne n’a les moyens de contrôler.
Comment inciter les viticulteurs à se passer de pesticides ?
En réalité, les petites exploitations utilisent de moins en moins de CMR et de perturbateurs endocriniens parce que les viticulteurs sont les premières victimes. Certains ont besoin d’accompagnements techniques et financiers. Avec Alerte aux toxiques, on publie des guides comme « Action zéro CMR » qui explique concrètement comment s’en passer. Je suis consciente qu’une conversion n’est pas simple, elle peut prendre jusqu’à 3 ans et c’est jamais facile de changer des méthodes de production acquises depuis bien longtemps.
Pour les grands propriétaires, c’est différent : ils ne sont pas dans les vignes. Ils ne s’exposent pas aux substances et se fichent de la santé de leurs ouvriers. Eux ont les moyens de se passer de pesticides et de se convertir au bio. Mais ils préfèrent produire en quantité plutôt que du vin de qualité.
A quoi servira l’argent récolté par la cagnotte ?
L’opération coûte cher. Il faut acheter la bouteille, l’expédier au laboratoire vers Narbonne et payer une analyse à 250 euros. Jusqu’à présent, on envoyait une à trois bouteilles à chaque fois. Avec la cagnotte, on veut frapper un gros coup et publier le résultat de 15 bouteilles, de toute gamme. Cela permettra d’informer le consommateur sur la propreté du vin et acheter en connaissance de cause.
Une fois les 5 000 € atteints, que prévoyez-vous de faire par la suite ?
On s’aperçoit que la cagnotte grimpe plutôt vite donc on va réitérer. Plus on met en avant ces résultats, plus les consommateurs s’informent. En France comme à l’étranger, ça casse l’image qu’on a du Bordelais. Derrière la vitrine du plein air et le marketing environnemental, on montre la vraie composition de ces bouteilles. Et du coup, le vin bio explose ! Les cavistes en vendent de plus en plus. Les gens prennent conscience du problème. Ils veulent soutenir une viticulture propre pour le producteur et surtout pour eux, en tant que consommateur. Quand plus personne n’achètera de vin dangereux pour la santé, les mauvais élèves seront forcés de changer le mode de production.
Propos recueillis par Mathieu MICHEL