Le ton est monté entre la Turquie et l’Union Européenne ces derniers jours. Jean-Claude Juncker a même menacé de « geler » les subventions européennes accordées à la Turquie. Selon Nicolas Monceau, maître de conférences en sciences politiques à l’Université de Bordeaux, cet acte serait « contre-productif ».
Tout d’abord, pourquoi le président turc a-t-il réagi de manière aussi virulente ?
Erdogan est quelqu’un de très impulsif, il a souvent des réactions brutales et il est connu pour ses commentaires tranchés. Il considère que la récente interdiction de ses meetings en Allemagne est comparable à des pratiques nazies, mais il a aussi qualifié les Pays-Bas de fascistes. Ses propos ne le rendent pas crédibles, sa stratégie est d’essayer avant tout de mobiliser son camp et son électorat dans l’optique de renforcer le « oui » au référendum organisé le 16 avril prochain. La communauté turque d’Allemagne s’élève à près de 3 ou 4 millions de personnes. Lors des dernières élections, l’AKP a reçu beaucoup de voix venant de ces émigrés, ce qui n’est pas un enjeu négligeable pour lui.
Ses propos menacent-ils les relations diplomatiques entre l’Union Européenne et son pays ?
L’Union Européenne est l’un des principaux partenaires de la Turquie en ce qui concerne l’agroalimentaire, la technologie et les services, avec des intérêts énergétiques, donc je ne pense pas. D’ailleurs, ce n’est pas la première fois que la Turquie menace l’Union Européenne. Il y a notamment déjà eu des tensions sur la libéralisation des visas permettant la libre circulation des citoyens turcs dans l’espace Schengen. Dès 2013, un dialogue a été lancé sur ces visas afin de les libéraliser dès 2017. Puis la date a été ramenée à 2016, mais les délais ont toujours été repoussés depuis. Ce problème est évidemment lié à la crise migratoire, qui a explosé en 2013.
Les subventions européennes qui lui sont octroyées pour gérer la crise migratoire ne seront donc pas menacées ?
La demande du Parlement Européen de geler les subventions est symbolique : il serait contre-productif de le faire car cela aurait des retombées économique en Europe, notamment sur le tourisme. En novembre 2015, un accord a été signé pour tenter d’endiguer le problème migratoire, et la Turquie a commencé à recevoir une aide monétaire de 3 milliards d’euros. Le problème a empiré toute fin 2015 et 2016 à cause du conflit syrien. Depuis l’accord du 18 mars 2016, la Turquie reçoit au total 6 milliards d’euros pour favoriser l’accueil et l’intégration de ses réfugiés. Et le bilan est plutôt positif car les flux migratoires ont en effet diminué.
Le référendum de Erdogan vise à renforcer ses pouvoirs de chef d’État. Pourquoi l’Union Européenne ne semble pas réagir à l’oppression qui s’opère dans son pays ?
Les Européens sont très partagés sur l’idée de négocier avec la Turquie. Leur réserve sur cette question est importante à cause de la violation du pays aux Droits de l’Homme, à l’étouffement de la liberté des médias et au droit de manifester. Mais il est tout de même dans l’intérêt de l’Europe de soutenir les instances non-étatiques, c’est-à-dire la société civile, qui sont les acteurs de la démocratisation du pays. Et l’Union Européenne est sensible à la condition des kurdes. Elle est pour l’arrêt des violences et la recherche de solutions politiques, et souhaite une reconnaissance des droits politiques et culturels de cette communauté. Mais la Turquie ne l’entend pas de la même manière, car elle redoute toute indépendance sur son territoire. En février 2016, une représentante européenne est venue dans l’est de la Turquie et a vivement critiqué ces violences, jugées disproportionnées. Elle a tout de suite été jugée partiale et pro-kurde par le gouvernement turc.
Propos recueillis par Kathleen Franck.