Alors que les sages-femmes luttent pour une amélioration de leurs conditions de travail, une nouvelle profession du périnatal gagne en notoriété : les doulas. Ces accompagnantes émotionnelles et logistiques des futur·es parents comblent un vide créé par le manque d’effectif des soignantes. Mais l’absence de cadre légal de la profession continue de faire peser des menaces sur l’enfantement.
« Notre but, c’est de rendre les parents acteur·ices de leur accouchement » , explique Yanick, membre active de l’association des Doulas de France et co-fondatrice du centre Galantis. Les doulas prennent soin des personnes enceintes, les massent, les conseillent, les écoutent.
Elles accompagnent surtout des parents qui ont souffert de la situation hospitalière ou qui veulent un accompagnement vers un accouchement plus naturel et autonome. « L’une des raisons principales pour prendre une doula c’est aussi l’isolement » explique Pascale, de l’Institut de Formation Doulas.
« Il faut tout un village pour élever un enfant »
« En tant que doula on vient combler des manques sociaux » ajoute Margaux, qui pratique à son domicile à Bordeaux. « Si on existe c’est parce qu’il n’y a plus de transmission entre femmes, parce qu’on ne vit plus en communauté. »
C’est parce qu’elle souhaitait des informations neutres quant à l’accouchement physiologique (ou naturel), que Laurie a contacté Pascale pour son premier enfant. La doula lui a donné confiance en ses instincts et l’a conseillée pour la lactation et dans les conflits avec son conjoint quant à l’éducation de leur bébé. Selon Pascale, le recours aux doulas s’est amplifié ces dernières années avec l’augmentation des dénonciations de violences obstétricales, du désir d’être informé·e et acteur·ice de son corps.
« Ce ne sont pas les sages-femmes qui sont maltraitantes, c’est le système »
D’après Margaux, les sages-femmes n’assurent qu’un suivi médical car elles n’ont pas le temps pour un suivi psychologique, émotionnel et social. Christelle, jeune mère et lanceuse d’alerte sur sa page instagram @maman_en_colère, déplore le manque de moyens de la profession. « Lors d’un accouchement, on est dans une situation de vulnérabilité et on a en face des sages femmes qui sont trop fatiguées pour nous comprendre » . La jeune mère a été traumatisée, lors de son premier accouchement, par une épisiotomie non consentie et lors du deuxième par les rires moqueurs des sages-femmes alors qu’elle voulait accoucher à quatre pattes. Pour un accouchement naturel, il faut du temps. Margaux résume : « Ce ne sont pas les sages-femmes qui sont maltraitantes, c’est le système. »
Elle garde un souvenir ému d’un accouchement au CHU Pellegrin où avec le papa, elles s’étaient alternées au côté de la maman. Elle avait été agréablement surprise du bon accueil qu’on lui avait réservé et de l’ouverture d’esprit des soignantes rencontrées.
Si l’ordre des sages femmes reconnaît que l’existence des doulas pose la question des failles du système prénatal français, sa position est claire : les sages-femmes sont les professionnelles de santé idéales pour accompagner et informer les personnes qui enfantent. Si, du fait des conditions de travail en maternité, les hospitalières n’ont pas assez de temps à y consacrer, de plus en plus de sage-femmes s’installent en cabinet libéral et proposent des accompagnements plus individualisés. L’ordre des sage femmes déplore la méconnaissance du travail de prévention, d’information et de soutien qu’effectuent les sages-femmes libérales. Il rappelle l’importance de l’entretien prénatal « du 4e mois » , mis en place depuis 2007.
Manque de reconnaissance
Christelle, qui a été aidée par Sophie pour un post-partum difficile, aimerait que les doulas soient remboursées par la CAF au même titre que les nounous. « J’arrive à 9h, je repars à 17h. Je garde le bébé pendant que la mère se lave, je fais un brin de ménage et puis on discute allaitement, sommeil de l’enfant, etc. détaille Pascale. Tout cela, ce n’est pas aux sages-femmes de le faire. »
Toutes les doulas le disent : il est rare de vivre de cette activité, elles le font par vocation.
Si la quinzaine de personnes que suit annuellement Pascale ainsi que son travail de direction de centre de formation lui permet de vivre, Sophie, elle, se repose sur les revenus de son mari. Pour arrondir ses revenus, Margaux propose des ateliers portages de bébé, des massages et des rituels de passage vers la maternité, de réappropriation de son corps. Quant à Yanick, elle est développeuse web et s’occupe du centre de formation Galantis près de Lyon.
Travailler en binôme ?
Certaines sages-femmes à domicile travaillent en binôme avec des doulas. Elles assurent que leurs activités sont complémentaires. Pourtant, l’Association des Doulas de France n’y est pas favorable. « Pour moi une doula bosse pour les parents et non pour la sage femme, justifie la directrice du centre de formation Doulas de France. Sinon c’est la porte ouverte aux dérives. En tant que doula je ne sais pas dire si un saignement est trop important, je n’ai pas de formation médicale. » Margaux a hésité longuement à se former au métier de sage-femme, poussée par l’envie de participer davantage aux accouchements et par le ras-le-bol du manque de considération.
Pourtant, l’ensemble des professions médicales du périnatal tire la sonnette d’alarme contre l’intrusion de ce personnel non qualifié dans leur champ d’action.« Elles n’ont pas la formation nécessaire, rappelle l’ordre des sage-femmes, elles ne peuvent pas détecter certains problèmes mais leurs conseils sont pris comme paroles d’autorité du fait de l’échange monétaire. » La concurrence des doulas est ainsi vue comme dangereuse pour les patient·es et pour le système de santé universaliste. Déléguer aux doulas pourrait minimiser l’importance de l’accompagnement des sage-femmes, rendre les séances de préparation « optionnelles » et élitistes : aujourd’hui, un accompagnement par une doula coûte en moyenne entre 200 et 400 euros (auquel il faut ajouter quelques 400 euros pour une présence à l’accouchement).
Pour Margaux, l’accompagnement, l’écoute et la présence, devraient avoir lieu au sein du système de santé. « Les doulas s’occuperaient des choses annexes, des massages, des rituels, de l’apprentissage à l’utilisation de couches lavables ou au portage de bébé. » Yanick, la formatrice et cofondatrice du centre Galantis, résume : « De manière plus générale, le lien, la solidarité et la santé doivent remplacer la productivité au cœur de notre projet de société. »
Crédit illustration : Cha Toublanc