À une semaine de Noël, les rues de Bordeaux sont animées par une ambiance festive. Pour beaucoup, la fin d’année est synonyme de retrouvailles. Pour d’autres, le sentiment de solitude est exacerbé. 25% des personnes précaires déclarent qu’elles vont passer Noël seules cette année. Loin de la chaleur des célébrations, l’isolement s’intensifie, notamment pour celles et ceux qui n’ont pas de toit.
Les notes de « Vive le vent d’hiver » retentissent des enceintes d’un petit camion de la municipalité qui traverse toute la rue Sainte-Catherine, à Bordeaux. L’air est frais mais la grande avenue commerçante est animée. À une semaine de Noël, l’esprit des fêtes imprègne chaque vitrine et chaque discussion. Les mains sont chargées de sacs de cadeaux, les visages affichent de grands sourires. Les Bordelais·es, d’un pas pressé, passent d’une boutique à l’autre avec un seul objectif : cocher la liste des présents à acheter. Mais pour d’autres, la semaine à venir s’annonce plus sombre. A Bordeaux, 1 079 personnes sont sans-abri ou vivent dans un squat en 2024 et beaucoup passeront Noël seul·es. Un sujet douloureux que beaucoup préfèrent éviter : « C’est trop dur. Je ne me sens pas de parler de ça » balayent plusieurs personnes sans domicile fixe interrogées.
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Dans ce moment difficile, les personnes sans-abri, sans proches sur qui compter, reçoivent de l’aide des associations. « Je connais un gars de la maraude, c’est un ange, comme un daron, affirme-t-il la main sur le cœur, plein de reconnaissance, Gavroche, 27 ans dont six dans la rue. Il m’a ramené des chaussures et un duvet militaire parce que là, le froid, c’est gavé (sic) compliqué ». Avec son ami Clément, 23 ans, et leurs trois chiens, ils se sont installés devant la vitrine des Galeries Lafayettes. Il ajoute : « Dans certaines villes, ils filent des batteries externes. C’est pratique parce qu’on galère à recharger nos portable ». Au-delà des présents, Noël est un moment où l’on se retrouve en famille. Cette période renvoie à leur solitude et aux ruptures qui les ont amené·es à la rue : « Noël c’est déprimant. J’ai repris contact avec ma mère et ma sœur, mais je ne vais pas passer les fêtes avec elles » soupire Clément. Malgré cela, il est soulagé d’avoir rétabli un lien avec les siens. Il ajoute, compatissant : « C’est dur aussi pour ceux qui n’ont plus de contact avec leur famille. » Les deux amis témoignent d’un sentiment de déprime récurrent, en partie lié à cette solitude.
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« On essaye de créer un esprit de fête »
Pour y faire face, Clément et Gavroche ont pris l’habitude de se retrouver en ville la journée avec leurs chiens. Les compagnons se réconfortent et partagent les bonnes adresses : où prendre une douche, stocker ses vêtements et prendre un repas chaud. La nuit tombant, la troupe se disperse. Ils n’envisagent pas l’hébergement d’urgence puisque les chiens n’y sont pas acceptés. La solitude et le froid pèsent donc d’autant plus qu’ils n’ont pas de toit. Clément dormira dans un fourgon garé sur un parking « très loin », Gavroche dans une tente à plusieurs kilomètres du centre-ville.
« Être à la rue c’est pas le plus dur. Le plus dur, c’est d’être seul », affirme Daniel. Assis à une table dans la salle commune de la Halte de jour du Secours Catholique, le trentenaire se repose pendant que les autres bénéficiaires prennent leur petit-déjeuner. Depuis le début de l’hiver, il dort au chaud grâce à l’opération « Hiver Solidaire ». Proposée par la paroisse de Bordeaux, l’action permet d’héberger environ 200 personnes dans 42 paroisses de la métropole. Il est arrivé il y a trois mois en France et a engagé une procédure de demande d’asile. En attendant, il n’a pas de domicile fixe. Il n’appréhende pas spécifiquement la période de Noël car il sait qu’il ne sera pas complètement seul. Il pointe du doigt deux autres hommes assis de l’autre côté de la salle : « Je serai avec mes amis, on fera un repas », explique-t-il. « À Noël, les gens sont plus ouverts, plus accueillants », remarque Daniel. Il prévoit déjà de se rendre au goûter festif organisé samedi par le Secours Catholique de Bordeaux.
Pour les associations d’aide aux personnes sans-abri, Noël est un moment particulier : « Parce que les fêtes de Noël c’est le partage, on essaye de créer un esprit de fête », commente Olympe Delarue, animatrice de réseau de solidarité de l’association. Elle précise : « C’est important pour nous de marquer le coup, de montrer que ce n’est pas un jour comme les autres ». Le 25 décembre, une maraude « un peu améliorée » sera organisée, développe Olympe : « Il y aura des petits gâteaux, des cadeaux pour les personnes comme des produits d’hygiène, des bonnets, des gants…». Comme chaque année, un repas de Noël est également proposé aux bénéficiaires. Pour l’équipe du Secours Catholique c’est l’occasion de « partager un moment de rire, de joie pendant deux heures et demie ».
Pour les femmes, se cacher pour se protéger
À Bordeaux, ce repas a déjà eu lieu le 9 décembre dernier. La raison : aucun·e bénévole n’est disponible le jour du réveillon. Pendant que toutes et tous seront en famille, la halte de jour sera fermée le soir de Noël. En parallèle des associations, la solidarité s’organise à l’approche des fêtes. La salariée de l’association affirme : « Au Secours Catholique, on a reçu des places gratuites pour un repas le 24 décembre à midi organisé par les commerçants de Bordeaux. Il y aussi le restaurant de la Bodega, près du Grand Théâtre, qui propose une paëlla le 25 décembre ».
Pour les femmes sans domicile, la solitude est encore plus grande. Walery, une exilée polonaise, ne la connaît que trop bien. Assise devant une boutique de sous-vêtements, elle tient une pancarte sur laquelle est écrit : « J’ai faim. Une pièce pour manger. SVP ». Elle confie qu’elle passera Noël seule : « Je n’ai pas d’amis ici ».
10% des adultes sans-abri à Bordeaux sont des femmes. Walery, comme les autres femmes sans-abri, ne cherche pas le contact. Un isolement documenté dans un rapport du Sénat qui leur permet de se protéger d’éventuelles violences de la rue. « Il y a beaucoup de monde dans la rue. Mais il y a aussi beaucoup de drogue et d’alcool. Moi, ça ne m’intéresse pas, donc je reste seule pour Noël », martèle-t-elle. Cette ancienne enseignante, arrivée depuis peu en France, avoue dans un anglais approximatif ne pas s’être liée à d’autres personnes qui ont le même quotidien. La femme aux cheveux blonds coupés à la garçonne garde cependant le sourire en affirmant : « C’est la vie. C’est ma vie…»
Justine ROUILLARD & Sarah RODRIGUEZ