L’expérience chinoise du confinement lié au Covid-19, et précédemment au SRAS, attestent de conséquences importantes sur la santé mentale. Des symptômes variés apparaissent : stress post-traumatique, troubles du sommeil, dépression, troubles de l’alimentation. Ils touchent toute la population mais les professionnels de santé s’inquiètent pour leurs patients les plus isolés et les plus fragiles, notamment ceux atteints d’anorexie et de boulimie.
« Même pour des personnes qui ne sont pas victimes de troubles des comportements alimentaires (TCA), le confinement risque de provoquer des dérèglements. Nous avons tous tendance à faire baisser le stress, l’anxiété, par le grignotage. C’est le pouvoir compensatoire de l’alimentation », explique Alexandre Lefevre, diététicien-nutritionniste. Manger devient donc une valeur refuge, mais les logiques à l’oeuvre et les risques ne sont pas les mêmes pour tous. Pour le médecin, il s’agit de distinguer une réponse ponctuelle liée au stress du confinement d’un état général, d’une véritable maladie. « Nous sommes dans une recherche de plaisir, tandis que les anorexiques ou les boulimiques sont dans une recherche d’autodestruction, de contrôle excessif. Le confinement risque de prendre des proportions considérables pour les femmes, principalement touchées par les TCA.» Selon ce spécialiste de l’alimentation, « la seule façon d’aider les boulimiques c’est de les sortir de chez elles, qu’elles fassent des activités et entretiennent un lien social. Les confiner c’est tout l’inverse de ce qu’il faut faire. Ça va être explosif, surtout quand le confinement va se durcir. »
Marine Brémond conserve, elle, son optimisme. Cette nutritionniste poitevine estime que les conséquences sanitaires du confinement sur ses patientes varient en fonction de la durée, des conditions de vie (en famille ou isolées), de leur type de TCA et de leur personnalité. « Être en famille peut modifier les habitudes, les boulimiques font rarement des crises en présence d’amis ou de la famille. Ça peut être un outil de contrôle mais également un moment positif de réflexion, d’introspection. De retrouvailles aussi avec ses proches », confie-t-elle.
C’est le cas d’Anna*, jeune étudiante, qui a préféré rentrer chez ses parents pendant le confinement. « Cela fait 5 ans que j’ai des troubles alimentaires, entre l’anorexie et la boulimie. J’ai eu plusieurs hospitalisations et différents suivis psychologiques. » Mais, pour la plupart des patientes, la proximité familiale n’empêche pas les crises. « Ce confinement peut être très difficile à vivre, provoquer des montées d’angoisses, exacerber des conflits », énumère Myriam Cordelle, directrice du centre SOS Anor et psychologue clinicienne. L’une de ses patientes a même perdu du poids lorsqu’elle a vu ses habitudes alimentaires chamboulées par le retour de ses parents, en télétravail à la maison. Anna* est anxieuse : « Je savais qu’avec le confinement j’aurais moins la possibilité de faire des courses. J’ai fait des réserves pour les ramener chez mes parents et avoir mes stocks. Mes repas finissent souvent en crise, après, dans ma chambre. Je n’arrive pas vraiment à garder un repas. Là je n’ai plus de nourriture donc c’est stressant. En ce qui concerne mes parents, peut-être qu’ils s’en aperçoivent, mais qu’ils ne disent rien pour ne pas attiser le conflit », confie-t-elle.
Une prise en charge à distance complexe
Les professionnels de santé saisissent l’occasion de la pandémie de Covid19 pour tous tester à marche forcée la télémédecine. Des séances de téléconsultations ont déjà été lancées et ce, dès la première semaine de confinement. « Il faut conserver une routine dans la prise en charge, la moindre cassure peut marquer un arrêt complet dans le traitement », explique Marine Brémond, nutritionniste.
Le processus de guérison est long et nécessite une relation de confiance. Mais, pour le docteur Alexandre Lefevre, ces visioconférences sont insuffisantes et ne permettent pas de connaître « l’urgence de la situation. Il faut qu’il y ait une consultation physique. En visioconférence la qualité de la prise en charge n’est pas la même, ce n’est pas aussi pertinent qu’en réel. Nos patientes peuvent nous mentir sur leur poids, se maquiller, mettre des vêtements larges, car après tout, par caméra, on ne voit que leur visage », rapporte-t-il. Pour Clémence*, également anorexique et boulimique, « la balance c’est la meilleure et la pire ennemie. J’ai fait 30 kilos pour 1m67 pendant deux ans, je n’avais plus de règles… Je pense que le confinement influe au niveau de mon anorexie parce qu’en ce moment, je me tue au sport et je ne mange pas beaucoup. »
Une pratique du sport limitée
« Celles qui ont un profil hyperactif sont parties à la campagne. Avec un jardin, un bois à proximité pour faire du sport, elles ne se sont pas confinées dans leur 25 m² à Paris ! » constate Myriam Cordelle, de SOS Anor. Pour de nombreuses boulimiques ou anorexiques l’aspect exutoire du sport va être de plus en plus compliqué à gérer, dans la mesure où les sorties de sports sont désormais strictement régulées. C’est d’ailleurs ce que fait quotidiennement Clémence*. « Je suis dans une logique de perte de poids. Je cours au moins 1h par jour ensuite je fais du cardio-training, je ne mange pas le matin ni le midi. Même si je suis avec mes parents, ils bossent en télétravail donc ils ne font pas forcément attention à ce que je fais ni à ce que je mange. Je leur dis que je mange vers 15h, je vais faire du bruit dans la cuisine à l’heure dite et hop. »
Les risques pour la santé de ces dernières demeurent pourtant considérables. Les risques de contamination au Covid-19 s’accentuent dans la mesure où leurs défenses immunitaires sont faibles et s’accumulent à des problèmes de santé déjà existants. Les TCA sont l’une des maladies mentales les plus mortelles avec plus de 1 000 décès par an en France.
*Les noms ont été changés pour préserver l’anonymat.