Flirtant déjà depuis le premier confinement avec le sentiment d’être délaissés, les théâtres ont appris avec une certaine incrédulité qu’ils ne rouvriraient pas. Une nouvelle en forme de coup de massue, en particulier pour la scène bordelaise qui alarme sur sa situation.
Dès lundi prochain, il démontera tout. Stéphane Alvarez, directeur du théâtre du Pont Tournant situé dans le quartier Bacalan, à Bordeaux, avait pourtant bien prévu de rouvrir pour la mi-décembre. “On est au bord du gouffre. On est déjà très fragiles. La situation est alarmante” affirme-t-il. L’homme de théâtre se retrouve aujourd’hui avec plus de six mois de loyers impayés, soit plus de 12 000€.
Pour relancer la machine, il avait embauché une chargée de communication et des techniciens, imprimé et fait poser des affiches, monté des décors et des lumières. “C’est du gaspillage. Je jette à la poubelle entre 6 000 et 8 000€”. En tant que théâtre privé, il n’a reçu de l’Etat qu’une aide de 1500€. “Pourtant, nous exerçons une mission de service public” estime-t-il avant de conclure qu’il devra sans doute, pour “sauver la boutique, hypothéquer encore une fois [sa] maison”.
“Je déprogramme tout pour début janvier”
Jean-Claude Meymerit, directeur du Poquelin Théâtre, n’aura de son côté même pas eu droit à ces aides. Basé à Bastide, rive droite, le théâtre occupe néanmoins des locaux appartenant à la municipalité pour lesquels il ne reçoit plus les factures de loyer depuis plusieurs mois. Simple oubli ou volonté de soutenir le théâtre ? Dans tous les cas, cela lui permet pour l’heure de ne pas mettre la clef sous la porte. « Si ça venait à arriver, je me battrai. Le Poquelin Théâtre existe depuis 30 ans. Je ne fermerai pas comme ça ! », assure-t-il.
S’il parvient encore à tout juste s’en sortir sur le plan financier, le directeur du Poquelin est très touché sur le plan moral. Il ressent une totale indifférence face à sa situation. Outre le désintéressement de l’Etat, le directeur dénonce également un manque de concertation au sein même du domaine de la culture.
De son côté, Stéphane Alvarez est consterné et ne voit plus aucune perspective d’avenir. Il ne croit pas à une réouverture le 7 janvier, date potentielle annoncée par le gouvernement pour « déconfiner » le monde de la culture. « Je déprogramme tout pour début janvier. Je ne veux pas recommencer à programmer des spectacles pour, ensuite, tout redémonter ».
“Comme si on nous coupait l’herbe sous le pied”
Du côté des compagnies de théâtres, c’est aussi l’incompréhension. “Ces mesures n’ont pas de sens. Les théâtres ont été de supers bons élèves concernant le respect du protocole sanitaire”, exprime Alexia Duc, metteuse en scène pour la compagnie C’est pas commun, sur les planches depuis 2016. Pour elle, l’année 2020 devait pourtant être synonyme de réussite. “J’ai dû annuler vingt-sept dates. C’est énorme. On est une petite compagnie et ça commençait à vraiment marcher. C’est comme si on nous coupait l’herbe sous le pied.”
Cependant elle refuse de se laisser abattre. Pendant le reconfinement, la metteuse en scène a pris le temps de concrétiser un projet de longue date : créer une karaoké mobile en transformant une caravane pour pouvoir animer, en extérieur, des karaokés.
“On s’en sort quand même pas trop mal. J’ai plein de potes qui ont dû arrêter de faire du théâtre et lâcher leur compagnie pour se trouver un job alimentaire. C’est complètement fou.” Mais elle est réaliste : avec le karaoké mobile, quasiment tous les fonds de l’association ont été puisés. “Si la situation continue encore un an, je pense que la compagnie ne survivra pas.”
Crédit : Stéphane Alvarez
Florian Mestres, Emma Saulzet