Syndicats : quand la Cour appelle à l’aide

La contestation des magistrat∙es s’appuie sur une forte présence des deux principales organisations syndicales, l’Union Syndicale des Magistrats (USM) et le Syndicat de la Magistrature (SM). Avec près de 35% de syndiqué∙es, les magistrat.e.s soumis au devoir de réserve s’en remettent aux corps intermédiaires afin de défendre leurs droits.

Ils n’ont pas l’habitude de battre le pavé, et pourtant. Les magistrats se sont fortement mobilisés aujourd’hui, soutenus par des syndicats qui ont su conserver une forte représentativité. Alors que la moyenne nationale des syndiqués a atteint le niveau le plus faible de son histoire (7% en 2021), les juges et auditeurs de justice continuent à investir les permanences de l’USM et du SM. 

Pour Marie-Noëlle Courtiau-Duterrier, secrétaire générale adjointe de l’USM et vice-procureur au parquet de Bordeaux, le mouvement de contestation en cours est à l’origine d’une véritable recrudescence des adhésions. Des magistrats qui hésitaient depuis plusieurs années à se syndiquer, et pour qui la tribune publiée dans Le Monde le 23 novembre dernier a été un déclencheur. Du côté de l’Ecole Nationale de la Magistrature, également, les auditeurs de justice sont nombreux à s’être syndiquées après avoir pris conscience de l’état de délabrement des institutions judiciaires. 

Le manque de moyens tient une bonne place dans la liste des raisons qui poussent les magistrats à rejoindre ces corps intermédiaires, mais ce n’est pas la seule. La déontologie et le devoir de réserve auxquels ils et elles sont soumises en est une autre. C’est la position de Marc Robert, ancien procureur général à Riom pour qui “dans une vue idéaliste de la Justice, les magistrats ont tendance à intérioriser leurs analyses du contexte institutionnel dans lequel ils vivent”. L’engagement dans un syndicat est alors un moyen d’extérioriser les critiques formulées à l’encontre de la hiérarchie. 

Les magistrats, auditeurs de justice et avocats sont réunis sur les marches de l’escalier du TGI de Bordeaux pour dénoncer le manque de moyens de la Justice ce mercredi 15 décembre 2021. Crédits photo : Julien Mazurier.

Des magistrats pris pour cible

L’augmentation du nombre d’adhésions aux syndicats a aussi pour explication l’exposition croissante des magistrats aux invectives d’une partie de la société. Le 20 mai dernier, Fabien Vanhemelryck, secrétaire général du syndicat Alliance déclarait à la tribune de la manifestation des syndicats de police :  » Le problème de la police, c’est la justice ! « . Une attaque qui a laissé des traces dans les rangs de la magistrature. “Notre profession est profondément méconnue, parce qu’une grande partie des Français n’aura simplement jamais affaire à la Justice”, estime François Pradier, membre de l’USM. “Nous sommes régulièrement pris pour cible, par des syndicats contestés comme Alliance, mais également par une partie des justiciables qui, dans un contexte général d’attaques à la fonction de magistrats, se fait une idée fausse de notre rôle”. 

Face à la méfiance, voire l’hostilité d’une partie de la société, parler à visage découvert est un risque que certains juges ne souhaitent plus prendre. Déjà peu enclins à prendre la parole en public du fait de leur devoir de réserve, les magistrats veillent à ce que leurs prises de position publiques soient anonymisées. “Je ne souhaite pas qu’un justiciable qui serait mécontent d’une décision que je pourrais rendre puisse taper mon nom sur Google et voir ce que je raconte dans les médias”, témoigne une jeune magistrate qui souhaite rester anonyme. 

Paul Brunet, juge des libertés et de la détention au tribunal de Bordeaux et membre du Syndicat de la Magistrature, sur le parvis des Droits de l’Homme le 15 décembre 2021. Crédits photo : Julien Mazurier.

“Un devoir de dénoncer”

L’USM et le SM sont donc des appuis précieux pour des juges et auditeurs de justice qui, malgré les contraintes déontologiques et professionnelles, entendent dénoncer les situations inacceptables dans lesquelles elles et ils sont amenées.eés à rendre justice. 

Un rôle pleinement revendiqué par Marie-Noëlle Courtiau-Duterrier de l’USM. Pour elle, “si les magistrats sont soumis à un devoir de réserve, les syndicats sont soumis à un devoir de dénoncer”. Et la vice-procureure au parquet de Bordeaux de reprendre : “On constate une réelle libération de la parole chez nos adhérents, concomitante à la revendication sur les moyens de la Justice, mais qui est une lame de fond”. Les formations syndicales se sont ouvertes les unes sur les autres, et “là où l’USM faisait cavalier seul il y a quelques années, aujourd’hui nous défilons non seulement aux côtés du SM, mais également du syndicat des avocats”.

L’urgence avant la carrière

Pour Paul Brunet, juge des libertés et de la détention au tribunal de Bordeaux, l’institution judiciaire se trouve aujourd’hui dans une situation d’urgence telle que les magistrats doivent renoncer à une vision individualiste qui a longtemps prévalu, notamment en ce qui concerne le système d’évaluation. Selon les fonctions qu’ils et elles occupent, les magistrat.es reçoivent une à deux évaluations par an. Ces dernières, qui servent de base à toute nomination ou mutation, les ont longtemps poussé à l’autocensure à des fins carriéristes. 
Selon ce cadre du SM, la détérioration des conditions matérielles d’exercice doublée du mépris croissant de la Chancellerie pousse aujourd’hui à renforcer l’esprit de corps de la magistrature autour de syndicats forts. Il en veut pour preuve l’engagement des 5 476 magistrats, 1 593 fonctionnaires et 493 auditeurs de justice qui ont accepté de signer de leur nom la tribune publiée dans Le Monde le 23 novembre. “Dix ans en arrière, pas sûr qu’on aurait réussi à rassembler aussi massivement”.

Julien Mazurier


USM et SM : qui représente les magistrats ?

L’Union Syndicale des Magistrats (USM) est le syndicat historique de la profession. Se revendiquant apolitique, l’Union dit avoir dépassé les 2 200 adhérents, parmi les 8 600 magistrats qui exercent en France. Aux élections professionnelles de 2016, l’USM avait récolté 68,4% des suffrages. 
Le Syndicat de la Magistrature (SM) est la deuxième force syndicale parmi les juges. Créé en 1968, il se positionne à gauche et assume des positions plus tranchées que l’USM. Il revendique 1 000 adhérents. Aux élections professionnelles de 2016, le SM avait rassemblé 25,2% des suffrages. 


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