Face à la réforme de l’enseignement professionnel de 2023 qui allonge notamment la durée de stage des élèves, les entreprises aussi doivent s’adapter. Pourtant certaines n’ont pas des capacités infinies, surtout pour les plus petites d’entre elles.
Derrière son comptoir, Paul Ballongiu responsable chez Carrefour Market, supervise ses salariés d’un œil attentif. Il explique qu’en période de fêtes, les stagiaires des lycées professionnels sont très importants. “On accueille plus ou moins les stagiaires en fonction des besoins et des différentes périodes de l’année”. Plutôt favorable à la nouvelle réforme, il affirme : « Plus le stage est long, plus il est important pour nous. Nous n’avons pas besoin de former de nouveau, ce qui est vraiment intéressant !« . Quelques mètres plus loin, à côté des caisses automatiques, Lisa, 15 ans, regarde attentivement si les clients souhaitent solliciter son aide. Elle est élève en classe de seconde d’un bac professionnel en “vente et commerce” et n’était pas au courant de cette réforme qui va la concerner prochainement. Elle confie : “c’est plus formateur d’apprendre son métier sur le terrain. Surtout si c’est rémunéré ! ” Grâce à la réforme, les stagiaires pourront en effet bénéficier d’une gratification de la part de l’État.
Cet enthousiasme est largement partagé par les 124 patrons de grandes entreprises, signataires d’une tribune le 10 décembre dans les pages de « La Tribune dimanche ». Ils se disent notamment prêts à faire des efforts, embaucher des stagiaires et des alternants. De son côté, le Medef Gironde (Mouvement des entreprises françaises) indique être “ultra favorable aux stages”. Le syndicat de patron a lancé un appel à projets auprès des lycées professionnels cette année. Une grande réussite selon lui, de nombreux élèves ayant répondu.
Les petites entreprises, les oubliées de la réforme
Dans les entreprises de plus petite taille, la donne est un peu différente. Les stagiaires ne sont pas toujours les bienvenus. “Pour les artisans, ça devient compliqué d’accueillir autant de stagiaires que ce que voudraient les lycées”, explique Christine Lemasson-Lassègue, présidente de la CNAMS (Confédération Nationale de l’Artisanat et des Métiers de Service). “Les demandes de stages augmentent mais sur le terrain, nous n’avons pas toujours le temps d’être disponible pour eux”. Les artisans dirigent souvent des entreprises de moins de cinq salariés. Ils s’inquiètent du surplus de travail qu’une telle réforme peut entraîner. “On nous demande des efforts, mais sans contreparties”, met en avant Caroline*, dirigeante d’une carrosserie à Bordeaux. “On ne peut pas dire que ces stagiaires sont de la main-d’œuvre gratuite. D’ailleurs, ils ne sont pas toujours très motivés. On est alors obligé de les porter. Ils deviennent une charge”. Elle remarque que de nombreux jeunes viennent surtout pour profiter de la gratification, sans réelle motivation ou lien avec leur projet professionnel.
“L’ADN de l’artisanat, c’est l’apprentissage”
Dans ce contexte, il est à craindre que les lycéens ne trouveront pas toujours le stage qui leur convient, d’autant plus que la concurrence est rude, entre des stagiaires des filières générales et apprentis. “L’ADN de l’artisanat c’est l’apprentissage”, rappelle Christine Lemasson-Lassègue. “Ces profils sont beaucoup plus vite opérationnels. Et surtout, ils reviennent régulièrement. On a donc un réel suivi avec eux !”. Face à la frilosité des petites et moyennes entreprises, la réforme, bien qu’appréciée des jeunes en quête de professionnalisation, risque de se confronter aux difficultés énoncées.
*le prénom a été modifié.
Pierre Bayet @pierrebayet et Clémence Bailliard @ClemBailli1