Samedi 12 décembre, un tweet a mis en émoi les fans de sneakers bordelais : une boutique revente de baskets a pour la première fois ouvert ses portes dans la capitale girondine. Un engouement qui met en lumière un phénomène parfois inconnu du grand public.
9 000 retweets, 13 000 likes. C’est le nombre de réactions engendrées par l’annonce de l’ouverture d’un magasin de revente de sneakers d’exception, appelé “shop” dans le milieu, à Bordeaux. On pourrait parler d’un petit “buzz”. D’autant plus que la communauté de sneakerheads (nom donné aux fans de sneakers) est souvent perçue comme étant un public de niche. “Nous avons été surpris du nombre de personnes qui nous ont encouragés. C’est tellement motivant !” nous avoue fièrement Victor, le gérant de la boutique.
Salut Twitter , je me lance dans un nouveau projet en cette période compliquée, j’ouvre ma boutique de sneakers sur Bordeaux ! Si vous pouvez partager s’il vous plaît , ça ne coûte rien 😀 pic.twitter.com/JfTybvxuQJ
— 💶 (@VickyLars0n) December 11, 2020
Rien de surprenant pourtant. Le marché d’achat / revente de sneakers, aussi connu sous le nom de resell, est en plein essor depuis plusieurs années. Selon le groupe financier Cowen & Co, il aurait dépassé le milliard d’euros en 2019 et pourrait atteindre six milliards d’ici 2025.
Des acteurs bien rôdés
La démarche est simple : acheter à bas prix des éditions limitées lors de ventes spéciales où les acheteurs sont tirés au sort et les revendre deux à trois fois plus cher à des collectionneurs ou passionnés qui se les arrachent.
Pendant longtemps, les marques ont fermé les yeux sur ce marché parallèle. Aujourd’hui, “ce sont elles qui en profitent le plus, selon Samuel Mantelet, fondateur de l’association Sneakers Empire. Elles dictent les lois du marché”. En effet, Nike, Adidas ou Puma créent l’événement en ne produisant certaines paires de sneakers qu’en éditions très limitées. Cette stratégie marketing provoque du désir chez les consommateurs. “Les marques ne touchent rien directement mais gagnent énormément en termes de réputation”, explique Pierre Demoux, journaliste aux Echos et auteur de L’Odyssée de la basket.
Les aficionados sont en tout cas prêts à payer des sommes mirobolantes pour être sûrs d’avoir un modèle rare à leurs pieds. Thomas, 21 ans, étudiant en communication, amateur de belles baskets et reseller à ses heures perdues le clame haut et fort : “j’achète des paires d’exception car j’aime ce qui est rare et limité, quelque chose que tout le monde ne peut pas porter”.
Cette singularité a un prix. Même si toutes les paires de sneakers ne coûtent pas 615 000 dollars comme les Air Jordan portées par le basketteur Michael Jordan et vendues aux enchères par la maison Christie’s en août, certains articles atteignent des prix exorbitants, comparables à ceux pratiqués dans l’industrie du luxe.
Passer dans une nouvelle dimension
D’ailleurs, les marques de luxe s’intéressent de plus en plus aux sneakers en produisant leurs propres paires ou en effectuant des collaborations avec les marques “streetwear”. Dior et Nike, Louis Vuitton et Supreme, Balmain et Puma. Comptez quelques centaines d’euros à la vente, beaucoup plus à la revente.
Ce type de chaussures entre donc dans une nouvelle dimension. “Les sneakers sont avant tout des objets de design”, déclare Samuel Mantelet qui fait partie du comité artistique de l’exposition Playground dédiée aux sneakers au Musée des arts décoratifs et du design de Bordeaux. On y découvre l’histoire des baskets, des quartiers populaires jusqu’aux musées.
Pierre Demoux, lui aussi membre du comité artistique de Playground, tisse un lien direct entre une boutique de resell et une galerie d’art : “on rentre dans une boutique de resell sans forcément avoir l’intention d’acheter, on se balade comme dans une galerie d’art par exemple”.
Un esprit que Victor tente de recréer dans son espace de vente bordelais. En conservateur d’une boutique aux allures de salle d’exposition, il accueille des fans qui viennent partager sa passion.
Photo: lan Goldschmidt
Par Théo Putavy et Mathilde Muschel