Depuis plusieurs années, les signes permettant aux victimes de violences de se manifester se multiplient. Dernier né parmi eux, « Signal for Help » est utilisé depuis avril 2020. Mais quelle efficacité pour un procédé popularisé par les réseaux sociaux? Décryptage.
« J’ai pu observer des comportements étranges, notamment une fois. Une femme se présente avec son compagnon. Il lui parlait mal, violemment. Mais après qu’est ce qu’on peut faire si rien n’est dit ? » Christel, pharmacienne en plein centre de Bordeaux est démunie. Comment faire pour agir lorsque le silence se fait ? Quelques gestes sont nés pour permettre aux femmes victimes de violences d’alerter sur leur situation. Bon nombre dans le sillage de la pandémie de Covid-19. Un point noir dessiné dans le creux de la main, demander un masque 19 en pharmacie, montrer la paume de sa main les doigts tendus… Ce sont de véritables appels au secours.
TikTok sauve des vies
Portée disparue depuis plusieurs jours, une adolescente américaine a été secourue jeudi 4 novembre. Le ravisseur est arrêté. Son salut ? Signal for Help (« appel à l’aide » en français). La paume de la main visible, les doigts, d’abord tendus, viennent couvrir le pouce. Ce simple mouvement est à l’initiative de la Fondation canadienne des femmes, avant de faire son chemin sur TikTok. Les restrictions de déplacement causées par la pandémie de Covid-19 ont engendré une hausse des violences conjugales : enfermées au sein de leur foyer, contacter les urgences devenait impossible pour de nombreuses femmes. Pensé pour pouvoir appeler à l’aide durant des visioconférences, Signal for Help est silencieux. Furtif. Une personne victime de violence domestique peut alerter sur sa situation, sans risque pour sa sécurité, ni aviser son agresseur.
Si sa popularité n’est plus à prouver sur le continent américain, qu’en est-il de notre côté de l’Atlantique ? Marie José Hay, coprésidente de l’association En Parler Bordeaux, n’est pas convaincue : « Pour qu’il soit reconnu, il faudrait qu’il soit un peu plus connu. Peu de gens en sont informés, surtout les gens qui en ont besoin. Le point noir a plus d’impact. » Le hashtag #SignalForLife cumule plus de 24 millions de vues sur TikTok. Bien que conséquente, cette audience peut rester cloisonnée à la sphère des réseaux sociaux.
Floriane et Clotilde, membres de l’équipe de juristes du Centre d’Information sur les Droits des Femmes et des Familles (CIDFF), partagent ce constat. « Chez nous, la plupart des femmes qui viennent ont contacté le 3919 [numéro d’appel pour les femmes victimes de violences, NDLR]. C’est une démarche différente. Signal for Help, c’est bien pour les jeunes ! Ce signe les sensibilise sur les questions de violences faites aux femmes. Mais est-ce que ça va perdurer ? ». En effet TikTok touche majoritairement les jeunes : l’application cumule près de 14,9 millions d’utilisateur.rices mensuel.les en France. 38% d’entre elles et eux sont âgé.es de 13 à 17 ans et 37% ont entre 18 et 24 ans.
Pour Alexandra Belaud, Major de Police du pôle psycho-social et d’aide aux victimes à l’Hôtel de Police de Bordeaux, les signalements ne se font pas par ce biais. « On est alerté par mail, par nos collègues dans les commissariats. On a également la plate-forme nationale des signalements des violences sexuelles et sexistes où les personnes souhaitant témoigner sont en contact avec des policiers via un tchat. Elle est mise en ligne en complément du 3919. Aucun signalement ne nous est encore parvenu grâce à Signal For Help. »
Une diffusion toujours plus large, un risque pour les victimes ?
Signal for Help se fait de plus en plus connaître, notamment à travers certaines affaires très médiatisées. Un possible danger pour les victimes de violences domestiques ? Pour les juristes du CIDFF, ce n’est pas sans risque. « Souvent, lorsque l’on rencontre des femmes victimes de violence, elles ne souhaitent pas que cela se sache. S’afficher sur les réseaux sociaux en tant que victime peut les mettre en difficulté. »
Marie José Hay a un avis tranché : pour venir en aide aux victimes, populariser ce types de signaux est primordial.« Si personne n’est au courant des méthodes permettant d’alerter, dans ce cas là on n’alerte personne. » Alexandra Belaud est du même avis, mais tempère un peu : « Il faut se dire que si la victime est au courant, l’auteur aussi. Il faudrait trouver un système pour venir en aide à celles qui ont peur de parler, qui sont en danger. »
Crédit: Image de la campagne de sensibilisation lancée par la Fondation canadienne des femmes.
Shan Cousineau