L’ouverture du vaccinodrome à Bordeaux-Lac jeudi 8 avril, et d’autres centres géants à travers la France, se veut le symbole de l’accélération de la vaccination. Mais entre les difficultés pour trouver un créneau et l’impatience de certains jeunes face à un calendrier qui s’éternise, la débrouille s’organise. Rencontre avec ces bordelais en quête d’alternatives pour se faire vacciner.
« J’ai vu que pas mal de doses de vaccin avaient été gâchées et, dans ce contexte, je trouve ça vraiment dommage ». Klervi Le Gall, 21 ans et étudiante en biostatistiques à Bordeaux depuis deux ans, n’a pas hésité lorsqu’elle est tombée sur Covid Liste. Cette application gratuite permet d’être alerté lorsqu’une dose de vaccin est disponible à proximité de chez soi. Il ne s’agit pas de court-circuiter le système, mais bien d’éviter tout gaspillage de doses périssables.
C’est sur les réseaux sociaux que l’étudiante originaire de Saint-Brieuc a vu passer l’info : « Je me suis renseignée rapidement et j’ai sauté le pas, je me suis inscrite ! » Ses motivations : éviter le gâchis et se protéger rapidement, elle qui n’est pas prioritaire selon le calendrier du gouvernement. « Plus tôt je me fais vacciner, et plus vite je serai tranquille, ce serait une bonne chose de faite. »
Depuis quelques jours, ce type de plateformes, bien que non officielles, fleurissent. Covid Liste ou encore Vite ma dose qui permet, elle, de détecter les rendez-vous disponibles dans son département sous réserve d’éligibilité. L’application a été développée par Guillaume Rozier, citoyen passionné de data qui se cache derrière Covid Tracker, une autre application sur les données du Covid en temps réel. Ce pionnier de la débrouille en ces temps de Covid explique, sur tous les plateaux où il est invité, et avec une facilité déconcertante, comment il pallie aux multiples couacs qui entourent la campagne vaccinale. « En trouvant les liens vers les plateformes des centres de vaccination, je me suis rendu compte qu’il y avait des disponibilités, mais qu’elles n’étaient pas assez visibles. J’ai donc développé un algorithme qui scanne toutes les plateformes de réservation et qui scrute tous les rendez-vous disponibles », a-t-il expliqué au Point. Il suffisait simplement d’y penser et d’avoir les compétences. En creux, c’est la défaillance du système développé par l’État qui est pointée.
« Vacciné d’ici l’été, je n’y crois pas trop »
Ce genre d’initiative de la société civile a tout pour séduire et donner de l’espoir aux citoyens qui ne souhaitent pas rester passifs. « C’est simple, clair et efficace… », souligne Klervi. Elle est loin d’être la seule à y avoir eu recours : ce matin, Covid Liste recensait pas moins de 400 000 inscrits, rejoints par plusieurs dizaines de centres de vaccination partenaires. L’heure ne semble plus vraiment à la défiance envers le vaccin, mais bien envers le gouvernement et son calendrier vaccinal.
Après le fiasco de la gestion du stock de masques et des tests l’année dernière, les citoyens empruntent le chemin de l’autonomie. « J’ai peur que les plus jeunes se retrouvent en difficulté par rapport aux autres tout simplement parce que le calendrier vaccinal aura pris du retard. Cette application, c’est notre seule chance d’avoir accès à ce vaccin plus rapidement, alors autant essayer », avance Klervi.
Ce besoin de se prendre en main s’exprime aussi chez Clarisse*, étudiante bordelaise de 24 ans qui s’est inscrite ce week-end sur Covid Liste. « Macron a dit qu’on sera vacciné d’ici l’été, mais bon, je n’y crois pas, il n’y aura certainement pas assez de doses », lance-t-elle pessimiste. Face aux incertitudes, les jeunes se tournent vers ces applications pour se rassurer. « Même si je ne gagne qu’un mois par rapport au calendrier annoncé, c’est déjà ça ! Ça donne espoir », explique Clarisse.
« Système D » à l’ancienne
Si les deux étudiantes placent leur espoir dans les algorithmes, Bernadette, Bordelaise de 78 ans, a, elle, eu recours au système D « à l’ancienne », sourit-elle. Pourtant prioritaire pour être vaccinée, elle qui ne s’aventure pas sur Internet en temps normal, a rencontré de grandes difficultés pour obtenir un créneau sur les plateformes de type Doctolib. « Une véritable galère », confie-t-elle au téléphone, avant de témoigner de la situation « croquignolesque » dans laquelle elle s’est retrouvée. Bénévole chez les Petites sœurs des pauvres, elle a demandé à ce qu’on l’aide dans ses démarches, mais pas de nouvelles. C’est par « une amie qui a une sœur qui est médecin » qu’elle s’est retrouvée inscrite au CHU Pellegrin. Entre-temps, un élève à qui elle donne des leçons de bridge a réussi à lui dégoter une place à Arcachon. Résultat : le système D a fonctionné et Bernadette est vaccinée.
« J’aurais pu me faire vacciner trois fois », ironise-t-elle, sans manquer pour autant de dénoncer « le flou » pour les personnes âgées non accompagnées. « Passer par la voie voulue par le gouvernement sans impliquer les médecins de ville, ça ne marche pas vraiment. Beaucoup de personnes âgées passent sous les radars », estime la septuagénaire. Elle tire finalement une certaine fierté d’avoir réussi à se faire vacciner, entre ami d’ami, bouche à oreille et club de bridge.
*prénom modifié à la demande de la témoin
Crédit: Département des Yvelines
Philippe Peyre et Océane Provin
Infographie : Océane Provin