En novembre 2021, la municipalité de Bordeaux a dévoilé son plan d’action « Pour une ville apaisée ». Parmi ses objectifs figure celui de garantir « plus de sécurité » pour les habitants. Que cache cette promesse ? Enquête.
Une ville apaisée est une ville sécurisée d’après la feuille de route de la mairie de Bordeaux. Mais de quoi s’agit-il ? À la lecture des documents officiels qui présentent le plan d’action, l’objectif du renforcement de « la sécurité » reste imprécis. Pour Didier Jeanjean, adjoint au maire chargé de la nature en ville et des quartiers apaisés, la ville souhaite garantir « plus de sécurité routière » à travers ce plan d’action. « Avec la piétonnisation du quartier des Chartrons, il y aura moins de trafic et plus de sécurité puisqu’on va enlever des voitures. »
Outre la piétonnisation, l’extension des zones limitées à 30km/h devrait participer au même objectif puisque cette mesure diminue bel et bien le nombre d’accidents de la route. Elle est certes controversée, mais selon le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema), le risque mortel est multiplié par six selon que l’on se fasse percuter à 30 ou à 50 km/h par une voiture.
L’argument ne suffit pas à convaincre l’opposition. « Les 30 km/h, c’est une mesure d’affichage, confie Marik Fetouh, conseiller municipal (MoDem), car ni la préfecture, ni les forces de polices n’ont les moyens de contrôler la vitesse. » Si la sécurité routière reste « importante » aux yeux de l’élu, d’autres enjeux sécuritaires lui semblent plus essentiels. « Dire que l’on travaille sur la sécurité avec la réduction de la vitesse à Bordeaux, c’est vraiment être à côté de la plaque. Quand on parle de sécurité, on s’interroge plutôt sur les moyens qui sont dévolus à la police municipale ou les recrutements qui étaient promis et qui n’ont pas été réalisés. » Un avis que partage Marthe, habitante du quartier de la Gare : « Pour moi, une ville est sûre s’il y a peu de crimes, d’agressions et de harcèlement. Le reste c’est secondaire. »
La délinquance, autre enjeu de la sécurité
Selon une enquête confiée au Forum français de la sécurité urbaine publiée en décembre 2021, de nombreux Bordelais ressentent un sentiment d’insécurité dans leur quotidien. « Je ne me sens pas à l’aise lorsque je traverse certains quartiers de Bordeaux. Aux Capucins, les agressions et les trafics de drogues se multiplient et j’évite de plus en plus ce quartier quand je peux », confie Alice.
Ce n’est pas seulement un ressenti, l’insécurité est bien une « réalité factuelle », reconnaît Amine Smihi, adjoint au maire de Bordeaux en charge de la sécurité, sur France Bleu Gironde en décembre 2021.
La préfète de Bordeaux Fabienne Buccio le souligne d’ailleurs dans son discours sur le bilan de la sécurité. Si les atteintes aux biens ont diminué en 2021, « on constate une hausse des atteintes volontaires à l’intégrité physique » avec notamment « une augmentation de 17,5 % des coups et blessures volontaires ». Face à ces violences, l’insécurité routière préoccupe moins et arrive en 9e position dans le classement des phénomènes qui constituent des problèmes importants dans le quartier pour les Bordelais et les Bordelaises.
Toutefois, la préfecture de police ne constitue pas le seul organe responsable de la sécurité de la ville. Pour Marik Fetouh, « le maire est co-responsable de la sécurité avec le préfet même si elle s’obstine jusqu’à maintenant à ne pas armer les policiers municipaux. Cette décision rend le poste encore moins attractif à l’heure où beaucoup de villes ont encore du mal à recruter ».
La vidéoprotection, une fausse solution ?
Le faible nombre de policiers est en effet notable à Bordeaux. La municipalité fait partie des villes comptant « le moins d’effectifs de police » avec seulement « 4,84 policiers municipaux pour 10 000 habitants », comme le souligne une enquête d’actu. fr Bordeaux. À titre de comparaison, Nice, qui occupe la première place en termes d’effectif de police, compte 550 officiers, soit 16,05 agents pour 10 000 habitants.
Si la municipalité de Bordeaux a peu à peu déployé un dispositif de 150 caméras de vidéoprotection dans la ville pour assurer la sécurité, cela s’apparente surtout à une « fausse solution », analyse Christian Mouhanna, chercheur au CNRS et directeur du Centre de Recherches Sociologiques sur le Droit et les Institutions Pénales. « Bien souvent, la vidéoprotection est présentée comme une solution miracle pour les gouvernements, mais c’est loin d’être le cas. Si on met des caméras, sans personne pour regarder les films, ça ne sert à rien. Or on sait très bien que les villes manquent de présence policière. »
Un raisonnement que partage Thomas Herran, maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à Bordeaux : « La ville de Bordeaux pratique certes la vidéoprotection, mais cela ne semble pas suffisant pour lutter contre la criminalité. »
Outre les questions d’effectifs derrière les écrans des caméras, la vidéoprotection soulève également des questions éthiques que dénoncent le collectif de Girondins CLAP33 (Contre Les Abus Policiers) depuis 2009.
À travers les différents dispositifs mis en place, le plan d’apaisement de la ville promet d’apporter plus de sécurité aux Bordelais. Encore faut-il évacuer le flou.
Solène ROBIN (@solenerobin_) et Izia ROUVILLER (@izia_rouviller)