L’usure a remplacé la peur de l’inconnu. Plus que jamais, la santé mentale des Français est mise à mal par l’incertitude liée à la situation sanitaire et à la menace d’un troisième confinement.
Nous sommes dans une période de flou, qu’il s’agisse de communication politique ou de l’organisation des différents acteurs de la société. Mais qu’en est-il du versant psychologique ? Nous sommes allées à la rencontre d’Alice Laborde, coordinatrice du Conseil local de santé mentale au Centre Hospitalier Charles Perrens, à Bordeaux. Elle revient sur les enjeux psychologiques du contexte sanitaire. En novembre dernier, le moral des Français était au plus bas, selon un sondage Ifop. Plus d’un tiers des Français faisait part de son désespoir dû au deuxième confinement.
En cette période difficile, où demain est incertain, quelles conséquences observez-vous sur les individus, notamment sur les étudiants ?
Alice Laborde : Il est compliqué d’avancer quand on ne peut pas avoir de projets. On ne sait pas ce qui se passe demain ou la semaine prochaine, et ça conduit à une incertitude déstabilisante. Tout ça vient puiser dans nos ressources de capacités d’adaptation, en permanence. C’est ça qui est épuisant.
La capacité d’adaptation est-elle la même pour tous?
A.L : On est tous très inégaux face à cela : on ne vit pas tous de la même façon un accident de la vie ou un deuil par exemple. Pour peu qu’on ait une tendance à être plus anxieux, l’incertitude peut avoir des répercussions importantes. Certains, dans leur fonctionnement, se rassurent par des rituels. Quand on est dans le flou, toutes les routines sont cassées. Si on a moins de capacités de flexibilité mentale, ça aura tendance à nous perturber plus facilement, et ça peut entraîner une anxiété majorée. Il faut voir cela comme un capital qu’on a tous, différent pour chacun. Il peut se travailler, s’accompagner, et c’est là qu’une thérapie ou un suivi peuvent aider. On gagne beaucoup à apprivoiser son anxiété : il ne s’agit pas de la faire disparaître, mais de réussir à prendre du recul sur elle. L’incertitude nous épuise et notre capital d’adaptation n’est pas infini. Au bout d’un moment, on n’a plus de ressources.
Pour inciter les étudiants à demander de l’aide à un professionnel, le gouvernement a mis en place des « chèques psy » qui permettent de lever le frein financier à la consultation. Mais d’autres services existent déjà dans les universités, cet argument financier est-il le seul qui entre en jeu ?
A.L : Pour les étudiants, il y a déjà un service accessible à tous gratuitement, avec l’espace santé étudiant. Un infirmier les reçoit et les oriente vers un psychiatre ou un psychologue. Parfois, cette seule discussion suffit. L’avantage de ce service, c’est qu’on réunit tout le monde dans la même salle d’attente, quel que soit le motif de consultation, ce qui est moins stigmatisant. L’argument financier n’est pas le seul qui entre en jeu. En termes de représentations, le chèque psy risque de ne pas lever la stigmatisation autour de la santé mentale. Démarcher un psychologue n’est pas simple et très intime. Il s’agit de reconnaître qu’on a besoin d’aide et d’admettre que pour être aidé, on doit solliciter un professionnel qui ne sera là que pour nous écouter. Il ne faut pas attendre d’être au plus mal pour consulter et je pense même que c’est une étape par laquelle chacun devrait passer. Mais en tout cas, ce n’est pas parce que le gouvernement dit “on donne des chèques psy” que tout le monde va aller voir un psychologue.
Ces derniers temps, on parle beaucoup d’un troisième confinement. Le deuxième a été mal vécu, souvent plus mal que le premier. Face à un épuisement psychologique, quelles seront les réactions face à un potentiel troisième confinement ?
A.L : Au premier confinement, tout le monde a eu peur, on ne savait rien. Au deuxième, on a normalisé la situation, le port du masque, la distanciation etc. Pour le troisième confinement, je pense à l’étude des institutions totales par Erving Goffman dans Asiles. Il y explique que plus on prive les gens de liberté, plus le moindre espace devient une zone de liberté. En tant qu’individu, on ne peut pas faire autrement que de vouloir jouer contre le système. Après presque un an de pandémie, on sature, on n’a pas de perspective et on doit toujours se réadapter à de nouvelles conditions de vie.
La cellule d’aide de Sciences Po Bordeaux nous a indiqué la hausse des demandes, et l’incapacité de répondre à nos questions à cause de cela. A Charles Perrens, est-ce que vous faites le même constat ?
A.L : Au Centre Hospitalier, on a mis en place une ligne d’écoute pour l’instant dédiée à la crise sanitaire mais qui a vocation à se pérenniser. La ligne n’est pas vraiment saturée mais un autre problème se pose. Des gens arrivent pour des urgences, dans un état beaucoup plus dégradé qu’avant. Ils retardent l’accès aux soins, notamment à cause du confinement. De ce fait, quand ils arrivent aux urgences psychiatriques, ils sont dans un état qui est vraiment plus compliqué à gérer. C’est ça l’effet qui peut être perçu actuellement, plus qu’une explosion des demandes.