Sandrine Revel : « À nous de taper du point sur la table »

Cette semaine, Imprimatur s’intéresse à l’univers de la bande dessinée à Bordeaux. Sandrine Revel, illustratrice et auteure de bande dessinée formée aux Beaux-Arts, n’a jamais quitté la ville de Bordeaux où elle est née. Celle qui en début d’année a reçu le prix Artémisia, une récompense destinée uniquement aux femmes, porte un regard lucide sur le monde masculin dans lequel elle évolue. Malgré les récentes polémiques, l’auteure bordelaise reste persuadée que les femmes ont leur place dans l’univers de la bande dessinée. 

Sandrine Revel
La Bordelaise Sandrine Revel, prix Artémisia 2016, a démarré dans la BD à 23 ans.                                                        Creative Commons

 

Le festival d’Angoulême a soulevé de nombreuses questions, notamment à cause de l’absence de femmes dans la présélection des Grands Prix. L’univers de la BD est-il hostile aux femmes selon vous ?
Ça reste très compliqué pour les femmes. On en a eu la preuve cette année. Nous sommes représentées à 27% dans la profession, on ne peut donc pas dire que nous ne sommes pas présentes. Ce qui est sûr, c’est que cette histoire prouve la non-culture du Festival International de la Bande Dessinée et le désintéressement total à cette partie de la création que représentent les femmes. Mais c’est à nous de taper du point sur la table pour avoir notre place !

Allez-vous boycotter Angoulême dans les années à venir ?
Pour moi, Angoulême, ce n’est pas une fin en soi. Aujourd’hui, ce n’est plus le lieu incontournable dans la BD, malheureusement. S’il n’y a pas de révolution, j’ai bien peur que le festival tombe en désuétude, et que le boycott ne soit même plus nécessaire. Les questions qui ont été soulignées cette année et les débats qui sont apparus montrent bien un malaise au sein de cette organisation. C’est à eux de faire le ménage pour qu’Angoulême redevienne Angoulême et le rendez-vous incontournable de la BD. Il suffit juste de changer les pions et que d’autres prennent la place.

Ces polémiques menacent-elle la BD ?
Non, elles ne menacent pas la BD. Elles soulignent les problèmes que l’on rencontre dans la BD, les inégalités qui y règnent aussi. Il faut simplement remettre ça à plat et essayer de comprendre le problème pour le traiter. Ce qui met en difficulté la BD, c’est avant tout la précarité du métier car s’il n’y a plus de créateurs, il n’y a plus de BD. On est dans une situation difficile où les auteurs ont beaucoup de mal à réaliser leurs projets. Les hommes en souffrent, mais les femmes en souffrent beaucoup plus car elles font un album, deux, trois, et parfois, elles doivent s’arrêter car elles ont une naissance et doivent s’occuper des enfants. Elles ont plus sujettes à ce problème. Mais c’est le cas dans beaucoup de secteurs.

L’absence de reconnaissance envers les femmes vous donne-t-elle envie d’abandonner ou au contraire vous motive-t-elle encore davantage ?
Elle me motive. Lorsque j’ai commencé la BD il y a 20 ans, il n’y avait pas beaucoup de femmes. Quand j’étais adolescente, on m’avait dit que ce n’était pas un métier de femme, mais ça ne m’a pas freinée. Donc cette absence de reconnaissance ne me décourage pas non plus. Ça ne m’empêche pas pour autant de souligner ces inégalités. Je me sers justement du média qu’est la BD pour les dénoncer. Le message que j’essaye de faire passer est : « soyez un homme ou une femme libre ». Glenn Gould, auquel j’ai consacré une bande dessinée, est un homme qui a décidé d’arrêter sa carrière de concertiste à 32 ans et de vivre sa vie autrement. Certains s’enferment dans des cases sans vivre leur vie véritablement.

Que diriez-vous à une jeune femme qui a envie de se lancer dans la BD ?
Je lui dirais de foncer, d’aller au bout de ses rêves, de ne pas écouter les autres, de franchir les barrières et les tabous, de faire ce qu’elle a envie de faire. Mais je pourrais dire ça à n’importe quelle fille qui veut faire un métier. C’est une question d’éducation. Il faut avoir du courage ; une vie, on n’en a qu’une. Alors si on a vraiment un rêve, il faut y aller. Moi, mon rêve, c’était de dessiner, de passer mes journées à faire ça. J’ai trouvé le moyen de le faire.

Les femmes représentent un pourcentage très faible parmi les auteurs de BD. Comment changer cela ?
Il y a pas mal de femmes qui se lancent dans ce métier. Apparemment, à l’école des Beaux Arts d’Angoulême, la « récolte » est bonne. Les femmes ont leur place dans ce domaine autant que les hommes. Le Collectif des créatrices de bande dessinée contre le sexisme s’est créé pour que les femmes soient visibles, pour créer une parité, un équilibre et pour corriger cette injustice. Quoi qu’il en soit, les femmes sont là et elles ont bien compris qu’elles ont leur place.

Sandrine Revel

Vous avez obtenu le Prix Artémisia 2016, pour votre album Glenn Gould, une vie à contretemps. C’est une belle reconnaissance…
Oui, c’est une belle reconnaissance pour l’album, qui m’a demandé quatre ans de recherche et de création. Je fais des livres, l’intérêt c’est qu’ils soient lus. Aujourd’hui, pour qu’une BD soit lue, il faut qu’elle apparaisse dans la presse. La durée de vie peut être vraiment très courte. Ce prix est donc important dans la mesure où il fait exister l’album une deuxième fois.

Noémie Gaschy

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