Samedi dernier, une partie du camp des Sahraouis, situé quai Deschamps, à Bordeaux, a été incendiée. Sur la centaine de personnes concernées, trente-neuf ont été hébergées, le week-end dernier, dans la salle municipale Gouffran, avant de regagner leurs tentes. De l’Algérie à la France, les Sarhaouis passent d’un camp à un autre, une vie d’exil qu’ils espèrent terminer à Bordeaux.
Le drapeau de la République arabe sahraouie démocratique orne l’un des bâtiments vétustes du camp.
« Vous cherchez le camp des Sarhaouis ? Il a été endommagé par un incendie, samedi dernier. Il doit être vide aujourd’hui. » Le restaurateur situé quai Deschamps, à quelques encablures du camp des Sahraouis, a tout faux : une centaine de personnes vivent toujours dans ce camp de fortune, en attendant d’être relogées. Il faut dire que ces hommes et femmes, entassés à l’ombre des regards, reçoivent peu de visites. Pourtant ce n’est pas faute d’essayer. « Bienvenue », voilà l’inscription qui orne l’une des devantures du camp. En face, le brassard orange vif se laisse deviner derrière la vitre embuée d’une Peugeot mal garée. Un vigile fait le pied de grue devant le camp tous les jours. Pour la sécurité des Sahraouis ? Non pour celle des autres, ceux qui ne viennent jamais.
Les Sarhaouis, une vie marquée par l’instabilité
Dans la nuit de samedi à dimanche, l’un des entrepôts du camp, situé Quai Deschamps s’est embrasé , « cela aurait été provoqué par un câble électrique», intervient Mohamed, un ancien journaliste sahraoui qui prend rapidement les choses en main. En France depuis seulement sept mois, Mohamed est loin d’être dépaysé. Cela fait plusieurs années qu’il vit dans des camps. L’homme d’une quarantaine d’années est originaire du camp du Tindouf, au nord-est de l’Algérie, où 90 000 personnes ont posé leur vie. 90% des Sarhaouis arrivés à Bordeaux viennent de là-bas.
« Nous faisions tous partie du Front Polisario. Je l’ai quitté en 2005 », me dit un homme dans un espagnol parfait. Le Front Polisario est un mouvement politique et armé du Sahara occidental créé en 1973, pour lutter contre l’occupation espagnole puis marocaine. Le Front Polisario contrôle encore 20% du territoire du Sahara occidental, 80% étant contrôlé par le Maroc. Les deux entités sont séparées par le mur des sables, érigé par le gouvernement marocain dans les années 80. « Moi j’avais de la famille de l’autre côté du mur que je n’ai jamais pu revoir», explique Mohamed avant de tirer sur une énième cigarette.
Le Sahara occidental, ancienne colonie espagnole, réclame son indépendance depuis 1975.
Dans chacune des tentes, posées les unes à côté des autres, les discours sont similaires. Mohamed et ses camarades se déplacent de camp en camp depuis le début du conflit. Un train de vie instable qui pousse les Sarhaouis à fuir leur terres pour finalement retrouver la précarité à Bordeaux. « A Tindouf, les refuges en brique fondent sous le soleil de plomb du Sahara comme des chocolatines, ici il faut boucher les trous de la tente pour se protéger de la pluie ». Mohamed esquisse un timide sourire avant de reprendre son discours véhément sur le Maroc.
Une vie d’exil qui se poursuit à Bordeaux
Les Sahraouis décident de partir en France, « para buscar la vida », soit « chercher la vie » en espagnol. Un argument insuffisant pour la préfecture de Bordeaux qui rechigne à délivrer les fameux papiers qui leur ouvriraient les portes de cette vie encore inconnue. « Environ 2% du camp ont réussi à avoir des papiers en règle ». Pourquoi ça coince ? Les Sarhaouis ne disposent pas du statut de réfugiés politiques, leur pays n’étant plus en guerre.
Le camp bordelais est exclusivement composé de Sahraouis, bloqués ici dans l’attente de leur papier.
Les papiers, voilà le principal sujet de conversation autour du thé. Assis sur quelques tapis chamarrés, aux couleurs défraîchies, chacun se sert une tasse de ce nectar, quand une voix vient troubler le calme apparent. « Mais parle-lui de tes blessures à la poitrine quand tu as été torturé par la police marocaine », ordonne Mohamed qui perd patience face au mutisme de certains de ses camarades. Son interlocuteur prend un air gêné avant de me dévoiler les marques rouge vif colorant sa poitrine.
Certains Sarhaouis ont perdu toutes leurs affaires à l’issu de cet incendie. Ils ne vivent plus dans ce bâtiment qui peut s’effondrer à tout moment.
Une vie de camp, voilà le problème auquel les Sarhaouis sont confrontés . Que ce soit en Algérie dans les camps de Tindouf ou encore dans la zone sous contrôle marocain, la souffrance se lit sur les visages. Ils survivent grâce aux dons réalisés par la population locale mais aussi avec l’aide des compagnes de quelques migrants qui vivent hors du camp.« Nous souffrons, mademoiselle, des enfants naissent dans des camps et y vivent toute leur vie. Vous comprenez ? », s’offusque la seule femme présente.
Abdellaziz, 18 ans, en fait partie. Vêtu d’une chemise bleue à carreaux et d’un jean brut, le benjamin du camp s’adonne à une petite visite guidée. Rapide, cela va sans dire. En plus des tentes à même le sol, un bâtiment délabré surplombe le refuge bardé de graffitis. Le plafond est déchiré, les fenêtres cassées, les matelas, quand il y en a, s’étalent à même le sol.
« Tu t’imagines vivre ici ? », me demande Abdellaziz. Une question à laquelle il est difficile de répondre.
Abdellaziz est arrivé à Bordeaux il y a cinq mois. « Je m’entends bien avec tout le monde, mis à part les voisins d’en-dessous. La moyenne d’âge est de 30-40 ans alors c’est difficile d’être le seul jeune », chuchote-t-il. Quid des associations ? « Elles viennent de temps en temps pour se donner bonne conscience puis repartent aussitôt, un peu comme vous, les médias », rétorque le garçon « comme un miroir qu’il te donne en vitesse ».
Certains Sahraouis le regardent de travers, alors il ferme la porte de sa chambre improvisée. « Les portes sont endommagées, les policiers les ont défoncées la semaine dernière », montre le jeune homme. Un climat de tension entre les autorités bordelaises et les migrants qui ne s’est pas amélioré depuis l’incendie de samedi dernier.
«Tu veux un parapluie ? Les branches sont un peu cassées, j’ai connu pas mal d’intempéries », sourit Abdellaziz
Si les policiers bordelais visitent à leur façon le camp des Sarhaouis, Alain Juppé, lui, reste aux abonnés absents. « Le maire c’est un homme ou une femme ? »,demande Abdellaziz. Une question qui en dit long sur l’implication de la ville. « Petit à petit, ils nous retirent tout afin de nous pousser vers la sortie. Nous n’avons plus d’eau, plus d’électricité, quelle sera la prochaine étape ? » Le regard d’Abdellaziz se perd alors sur les débris de l’entrepôt du camp dévasté par les flammes. Le jeune homme sait que son périple est loin d’être fini.
Audrey Parmentier