Mardi 26 mars 2024, plus d’une centaine de personnes s’est rassemblée devant la mairie de Bordeaux à l’appel de l’intersyndicale. Une singularité dans le paysage syndical, où sont défendus principalement les droits des travailleur·euses. Ce militantisme, associé à un âge et une époque, peine aujourd’hui à se renouveler.
Sur la place Pey-Berland, se frayant un chemin entre les gouttes, Sylviane Krust, 73 ans, secrétaire de l’Union Syndicale des Retraités (USR), déplore le mauvais temps. « C’est difficile pour les retraités de sortir avec un temps pareil ! » Ce 26 mars, à l’appel de l’intersyndicale, les retraité·es étaient mobilisé·es pour leurs revenus et leur santé. « Pour obtenir satisfaction, il faut s’organiser. Et il n’y a que le syndicalisme pour nous permettre de faire entendre nos revendications », souligne la secrétaire de l’USR.
C’est à partir de mai 1968 que sont apparus les premiers syndicats de retraité·es. Pour le sociologue Damien Bucco, le syndicalisme constitue l’une des modalités principales de l’expression de la « cause des retraités ». Il évoque l’expérience de la Confédération Française des retraités, créée en 2000 à l’image d’un « lobby de retraités à l’américaine » qui se serait distinguée des syndicats. Mais son influence est relative et tend à s’effacer.
Une continuité dans le parcours syndical
Espaces de sociabilité, d’ancrage territorial et de lutte, ces groupements proposent à leurs adhérent·es un militantisme actif : « Tous les ans il y a cette journée de mobilisation avec nos revendications spécifiques, explique Sylviane Krust, mais nous participons aussi à d’autres manifestations et on soutient les entreprises de salariés ».
Dans la manifestation du 26 mars comme au sein de l’USR Gironde, les militant·es sont majoritairement d’ancien·nes travailleur·euses syndiqué·es. Sur le millier de membres que compte l’Union, peu de personnes n’ont aucune expérience du syndicalisme. « Ce n’est pas à 70 ans que vous avez la révélation du syndicalisme si vous n’en avez pas fait du tout », explique Sylviane Krust. Son parcours est à l’image de celui des autres adhérent·es. À 20 ans, elle monte un syndicat dans l’entreprise de fabrication de bouchons de liège dans laquelle elle travaille. Après un DUT, elle rentre à la Sécurité sociale à Paris, et continue ses activités militantes. « Mais arrivée à la retraite, j’ai quand même pris trois ans pour voyager avant de m’y remettre », reconnaît-elle en riant. Pourquoi s’est-elle ré-engagée ? « J’en ressentais le besoin, j’ai milité toute ma vie et puis les camarades avaient besoin de monde ».
Un·e syndiqué·e sur quatre le reste après son départ à la retraite. « Pourtant, proportionnellement, si on raisonne en stock, les retraités sont plus nombreux que les actifs. Il y a peu de renouvellement », relève Damien Bucco.
40 % des Français·es font « plutôt confiance » aux syndicats
Les jeunes rechignent donc à se syndiquer. Mais selon une étude du Cevipof opinionway du 13 février 2024, la cote de confiance dans les syndicats, y compris chez les jeunes, atteint 40 %, le taux le plus haut depuis la création du baromètre en 2009. Ce chiffre stagnait à 27 % auparavant. Pour Damien Bucco, cela est dû à la réussite syndicale du mouvement contre la réforme des retraites. Les syndicats ont réussi à s’unir et à fédérer. « Chaque fois qu’il y a un mouvement similaire à celui des retraites et que les syndicats sont en première ligne, ils apportent des réponses qui s’adressent à l’ensemble du salariat », analyse-t-il.
Une confiance qui s’est également traduite par un regain d’adhésion, selon le sociologue George Ubbiali : « suite aux mobilisations contre la réforme des retraites, les principales organisations ont toutes annoncé qu’elles avaient recruté ». La CGT par exemple, comptabilise 30 000 nouvelles adhésions au printemps 2023. Ces nouveaux syndiqué·es vont-ils le rester une fois l’âge de la retraite atteint ? « C’est difficile à savoir, il nous faut plus de recul ».
Le déclin du syndicalisme ?
« Aujourd’hui on est dans un état du syndicalisme beaucoup moins favorable », mais dire que l’âge d’or est révolu est un peu réducteur. Dans les années 1970-1980, tant du point de vue social que politique, il y avait un espoir d’une société meilleure et plus égalitaire, relayé par les syndicats mais aussi les partis de gauche. Pour autant, « le syndicalisme français, même pendant son développement dans les années 60 a toujours été minoritaire » comparé aux autres pays européens. « Il n’y a pas eu de déclin ou de disparition du syndicalisme parce qu’il correspond à une fonction politique nécessaire. Mais on est dans une phase délicate », nuance-t-il. Il explique cela par une modification du monde du travail, une « répression » du syndicalisme de la part du patronat, et aussi une certaine lassitude. La fragmentation du travail et la précarisation ne permettent pas la syndicalisation, qui s’appuie sur un effet de groupe et d’identité collective. « Il y a une non-adhésion des jeunes dans des secteurs précarisés du salariat, avec parfois du salariat dissimulé type auto entrepreneurs, travailleurs indépendants, livreurs à vélo… Et là, il y a un véritable enjeu pour le syndicalisme », insiste Damien Bucco.
Pour son collègue George Ubbiali, « l’essentiel des troupes du syndicalisme retraité provient de gens qui ont été actifs dans les années 70-80 ». Va-t-on voir disparaître la culture syndicale en même temps que la dernière génération de syndiqué·es ? Les syndiqué·es qui aujourd’hui se mobilisent vont-ils être renouvelé·es ?
Elise Leclercq et Lila Olkinuora