Il y a quelques jours, la Gironde a accueilli les premières familles ukrainiennes fuyant la guerre. À Bordeaux, l’Institut de défense des étrangers s’est mobilisé pour accompagner gratuitement ces ressortissant·es. L’occasion de revenir sur la procédure à suivre pour régulariser leur situation.
Ils·elles sont plus de deux millions à avoir quitté l’Ukraine jusqu’à présent. En France, environ 5000 sont déjà arrivé·es depuis le 24 février. Associations et bénévoles se sont mobilisé·es pour les accueillir. Mais comment régulariser leur situation d’un point de vue juridique ? À cette question, l’Union européenne a répondu par le recours à la directive de « protection temporaire ». Activée pour la première fois depuis son adoption en 2001, cette procédure permettra aux Ukrainien·nes de jouir des mêmes droits que les citoyen·nes des pays d’accueil, à l’exception du droit de vote. Cela inclut le titre de séjour, l’hébergement, l’aide sociale et médicale, la scolarisation des enfants ou encore l’accès au marché du travail.
« Des déplacés de guerre »
Comme son nom l’indique, cette procédure n’est que temporaire. Les États peuvent y mettre fin à tout moment, s’ils estiment que la situation au sein du pays s’est stabilisée. « La protection temporaire ne vous permet d’être protégé que pour un an, renouvelable jusqu’à deux ans maximum. C’est différent du droit d’asile qui est plus pérenne », détaille Maître Sory Baldé, avocat en droit des étranger·es et membre de l’Institut de défense des étrangers du barreau de Bordeaux.
Toutefois, si la demande d’asile peut apporter plus de stabilité aux ressortissant·es, les délais de traitement de dossier restent beaucoup plus longs. Et dans le cas des Ukrainien·nes, une protection temporaire serait plus adéquate. « À long terme, les Ukrainiens ne veulent pas forcément rester en France. Ils ont quitté leur pays en catastrophe, et y reviendront sûrement après », estime Me Baldé.
Peut-on alors réellement parler de « refugié·es » ? Il semblerait que non. Les ressortissant·es ukrainien·nes sont « des déplacés de guerre ». Me Baldé explique : « Un réfugié est une personne qui a fait une demande d’asile et a obtenu une réponse favorable. Pour le déplacé, la situation est moins stable. C’est quelqu’un qui a fui son pays en raison de différentes contraintes et qui peut, dans ce cas-ci, bénéficier d’une protection temporaire ». Ces personnes restent légalement sous la protection de leur pays.
« La persécution » , condition sine qua non de la demande d’asile
Recourir à la protection temporaire, n’exclut toutefois pas de déposer une demande d’asile, avec l’accord de l’État et si la situation du·de la ressortissant·e le leur permet. « L’État peut refuser de faire coexister les deux demandes. Si tout le monde demande les deux en même temps, cela peut faire beaucoup de problèmes administratifs », avance Me Baldé.
Pourtant, le problème ne se limiterait pas qu’à de simples contraintes administratives. Maître Lisanne Chamberland-Poulin, avocate en droit international et de l’Union européenne et en droit des étranger·es au barreau de Bordeaux, insiste sur la notion de « persécution ». « Le droit d’asile ne peut être demandé qu’en cas de persécution de son pays, de ses administrations ou de ses groupes internes. Oui, il y a des persécutions en Ukraine, mais elles viennent d’un pays extérieur. Et l’Ukraine est engagée pour aider ses ressortissants. D’ailleurs, le pays insiste bien sur le terme « déplacé ». L’idée est que ses citoyens puissent regagner leur territoire. S‘ils ont le statut de « refugié », cela veut dire que le pays lui-même n’est pas en mesure de les aider », fait-elle remarquer.
Un dialogue de sourds
Pour l’instant, les procédures et les conditions d’application restent de la simple théorie : concrètement, rien n’a encore été mis en place. À Bordeaux, c’est un dialogue de sourds à cause d’un évident manque de communication entre le ministère et les structures de gestion de la directive. « Si on va sur le site de la préfecture, on nous renvoie vers le site du ministère de l’Intérieur qui lui nous renvoie vers le site de la préfecture », sourit Me Chamberland-Poulin.
En tout cas, avocat·es et ressortissant·es sont encore dans le flou. Aucune information officielle sur la mise en application de la directive n’a encore été annoncée. Mais au vu du nombre important de déplacé·es que la France s’apprête à accueillir, les détails ne devraient pas tarder à suivre.