Dans les années 80, alors que la production atomique française est à son zénith, des habitants entrent en résistance contre la politique nucléaire. Dans l’ouest de la France, des riverains s’opposent à un projet d’enfouissement nucléaire sur leur commune. Ils s’engagent alors dans un bras de fer contre le lobby du nucléaire et l’Etat avant d’obtenir gain de cause. Retour sur deux luttes aujourd’hui oubliées mais qui n’ont rien d’anachronique.
Une caravane déposée sur le futur site d’enfouissement du Bourg-d’Iré sert de quartier général aux manifestants anti déchets nucléaires. Nous sommes en 1987 et depuis l’annonce de la construction d’un tombeau radioactif sur la paisible commune des Deux-Sèvres, la colère monte. A une centaine de kilomètres de là, à Neuvy-Bouin (Maine-et-Loire), la grogne se fait de plus en plus sentir chez les habitants à mesure que les travaux d’enfouissement progressent.
Autour des deux sites, les manifestations rassemblent plus d’un millier de personnes. Les échanges avec les forces de l’ordre sont tendus. Les citoyens perturbent les prospections menées par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) en charge du projet d’enfouissement. Ils empêchent l’accès aux sites, érigent des barricades. Ni l’armée, ni les employés de l’Andra ne sont autorisés à franchir les barrages. Dans les Deux-Sèvres, l’agence du nucléaire installe ses locaux à La Chapelle Saint-Laurent. Le maire met alors à disposition des opposants le terrain situé en face de celui de l’Agence . Deux camps se font face.
L’occupation est permanente. De jour comme de nuit, des sentinelles montent la garde. Un système de surveillance téléphonique est mis en place pour anticiper l’arrivée des gendarmes. A Neuvy-Bouin, 50 tonnes de granit sont déposées devant les locaux de l’Andra. En mars 1988 la propagande anti nucléaire s’intensifie : la Coordination anti déchets de l’Anjou sort le premier numéro de « L’Anti-Déchets ». Le journal est tiré à 16 000 exemplaires et distribué dans toutes les boîtes aux lettres du secteur.
Plusieurs années de lutte
Depuis 1979, des dizaines de réacteurs nucléaires essaiment en France. Les centrales tournent à plein régime et les déchets s’entassent. Si le sujet est controversé, l’enfouissement en profondeur est privilégié faute d’option. Pour les habitants du Bourg-d’Iré et de Neuvy-Bouin, les ennuis commencent en septembre 1987 lorsque l’Andra sélectionne quatre sites géologiques en vue d’un stockage souterrain.
Les sites de Neuvy-Bouin et de Segré sont notamment retenus. Mais la construction d’un tombeau nucléaire dans ces régions fait l’effet d’une bombe. Les habitants refusent de vivre sur une poudrière. Chez l’Andra on se veut rassurant. La filiale d’EDF vante le sol argileux des deux sites, censé être hermétique à la radioactivité. Si des études scientifiques tendent à prouver l’étanchéité de l’argile, l’inquiétude persiste chez les habitants qui vivent à proximité des sites d’enfouissement. « Il est difficile de nier définitivement l’existence de déformation néotectonique, mais il est possible d’affirmer que si elles existent, elles sont de faible amplitude » précise le communiqué du Commissariat à l’énergie atomique daté du 18 mai 1987. Les riverains ont de quoi être inquiets : l’évolution de la roche dans laquelle seront stockés les déchets est incertaine. Des associations se posent alors en garde fou contre le projet d’enfouissement.
Une lutte écologique et politique
Dans ces deux régions rurales la mobilisation se structure autour de la paysannerie. Les opposants aux projets d’enfouissement sont principalement des écologistes. Leur grief ? Le projet est irréversible en cas de problème.
Durant l’été 1987 de nombreux conseils municipaux se prononcent contre les travaux d’enfouissement mais il faudra attendre un moratoire en 1990 pour que les projets soient définitivement abandonnés. Les expérimentations de l’Andra se sont avérées infructueuses et les manifestants ont obtenu gain de cause. Les sites de Bourg-d’Iré et de Neuvy-Bouin sont épargnés. Mais c’est désormais vers Bure que les regards se tournent. Les prospections sur le site si controversé ont lieu dès la fin des années 90.
Les manifestations sont un signe de défiance à l’égard des partis politiques. Les Verts sont le seul parti à tirer leur épingle du jeu. Contre toute attente le candidat écologiste Antoine Waechter coiffe François Mitterrand sur le poteau dans la commune de Neuvy-Bouin lors des présidentielles en 1988.
Le récit de ces luttes oubliées résonne avec celles qui se mènent aujourd’hui à Notre-Dame-des-Landes ou à Bure. Les mouvements populaires ne peuvent aboutir qu’à la condition qu’ils soient massifs et déterminés. A ce titre, la lutte contre l’enfouissement des déchets radioactifs à Bourg-d’Iré et à Neuvy-Bouin est une victoire.