D’ici 2050, la ville ambitionne de diviser par six ses émissions de gaz à effet de serre. La piétonisation des quartiers constitue l’un des maillons de ce plan d’envergure de la mairie écologique. Est-il pour autant efficace ? Nous avons interrogé élus et experts pour mesurer l’impact de cette initiative sur la diminution de la pollution en ville.
En février 2022, la mairie s’était engagée à réduire drastiquement le trafic routier en ville à travers plusieurs mesures, dont celle des zones piétonnes. Aux 40 hectares déjà existants en centre-ville, 25 devraient prendre la voie de la piétonisation d’ici la fin de l’année. “Le bon sens c’est de penser que lorsqu’il y a moins de voitures en circulation, il y a forcément moins de pollution”, note Didier Jeanjean, adjoint au maire chargé de la nature en ville et des quartiers apaisés. Une logique implacable partagée par Bordeaux Métropole. Celle-ci précise qu’avec plus de trois millions de déplacements par jour au sein de l’agglomération, 62% des émissions de dioxyde d’azote (NO2) proviennent des transports, dont 62% pour le seul trafic routier. De fait, 70.000 habitants vivent dans une zone régulièrement polluée.
Une mesure en demi-teinte
Pour l’instant, quelques zones sont ciblées par ce projet de piétonnisation alors qu’il existe de fortes disparités en matière de qualité de l’air selon les secteurs. Comme le soulignent les chiffres d’Atmo (agence régionale d’observation de la qualité de l’air), les quartiers les plus touchés sont évidemment ceux où il y a le plus de circulation, en périphérie. Et ces derniers attendent toujours une solution pour mieux respirer.
Daniel Delestre, président de l’association de protection de la nature et de l’environnement Sepanso Aquitaine et membre du conseil d’administration d’Atmo Nouvelle-Aquitaine dépeint la relative efficacité de cette mesure. “La piétonnisation des quartiers est une bonne initiative car il faut impérativement faire régresser l’utilisation de la voiture. Mais c’est seulement un petit pas pour ce qu’il se passe réellement concernant la pollution de l’air à Bordeaux. Ça relève plus du symbolique. Une façon d’éviter les vrais problèmes”, ajoute-t-il. Et Greenpeace Bordeaux est du même avis, Julien*, représentant de l’ONG, précise : « C’est une mesurette, un simple geste écologique stérile et surtout pas très impactant. On attend du changement, des actions concrètes.”
D’après Didier Jeanjean, les Chartrons ont été priorisés car l’été le quartier est un véritable îlot de chaleur. “C’est un quartier minéral. Piétonniser sert surtout à diminuer la pollution de l’air et nous l’avons sélectionné car il a été relativement facile à mettre en place. Cela dit, c’est surtout un continuum de mesures qui font que l’on baissera considérablement le taux de pollution en ville.” Pour Daniel Delestre, le choix des Chartrons s’explique aussi par des raisons culturelles et sociologiques. Il souligne que “piétonniser les quartiers, on ne le fait pas partout parce que c’est un projet qui transforme notre rapport à la ville, à la promenade. Plus propices aux quartiers touristiques comme Saint-Pierre et les Chartrons”. Le représentant de GreenPeace, lui, voit un calcul politique de la part de la mairie. “Hurmic pense à son prochain mandat. Piétonniser le centre-ville c’est surtout faire plaisir à son électorat sans se soucier réellement de l’urgence climatique. Ce sont des petites rues, avec peu de passages comparé à d’autres zones de la ville où la pollution de l’air est bien plus élevée.”
D’autres priorités ?
Pour réduire efficacement la pollution de l’air, des mesures complémentaires doivent être appliquées et il y a urgence. L’OMS (Organisation mondiale de la santé) estime qu’au moins 600 décès par an dus à la pollution de l’air surviennent à Bordeaux, alors que 250 pourraient être évités. Piétonniser quelques quartiers n’impactera aucunement ce chiffre.
En effet, le représentant d’Atmo rappelle que les paquebots qui s’amarrent le long des quais des Chartrons représentent un volet conséquent de l’augmentation de la pollution de l’air. “On peut s’interroger sur les études réalisées jugeant leur influence négligeable. Beaucoup de facteurs sont à prendre en compte (vent, distance) et les capteurs Atmo sont plus aptes à calculer une pollution concentrée. Je ne pense pas qu’ils soient véritablement représentatifs de leur impact. Il faudrait par exemple examiner leur valeur de consommation par heure et continuer à électrifier les quais du port afin qu’ils n’utilisent pas de carburant dans leur usage quotidien.” L’adjoint au maire se dit bien conscient du sujet et assure ne pas le prendre à la légère. “On y travaille depuis notre arrivée, ce n’est pas parce que ça ne se voit pas comme la piétonnisation que l’on n’agit pas. Nous ne sommes évidemment pas favorables à cela mais c’est une question complexe. Une nouvelle étude est justement en cours. »
Et que dire de l’arrachage des arbres dans une ville aussi minérale que Bordeaux ? Didier Jeanjean rétorque que l’objectif de cette opération était de mutualiser les places de parking afin d’optimiser l’agencement de l’espace. Mais il ne cache pas son désarroi. “Abattre un arbre est toujours une défaite. Je pense qu’on aurait pu faire autre chose, mais la plupart des arbres étaient en mauvaise santé, disposés sur un puissant îlot de chaleur. Ils n’étaient pas protégés.” Pour le représentant de Greenpeace, cette démarche est révélatrice de la politique menée en termes de diminution de la pollution de l’air. “La plupart des maires verts n’ont d’écologistes que le nom. Ne couper aucun arbre était d’ailleurs une mesure phare du programme d’Hurmic. Ça en dit long sur leur volonté réelle d’améliorer la qualité de l’air.” Tandis que Didier Jeanjean plaide le manque de financement et de temps. “On sait qu’il faut agir plus vite, être plus exigeant mais je pense qu’il est difficile de faire mieux avec les moyens dont on dispose.”
*souhaitant rester anonyme, le prénom a été modifié
Rémi PAQUELET (@rpaquelet1)
Mathis SLIMANO (@mslimano1)