Le grand jour est arrivé. Le gouvernement présente mardi 6 décembre 2022, après des mois d’annonces et des promesses de campagne ambitieuses, son projet de loi pour l’immigration à l’Assemblée nationale. Sa mesure phare : la création d’un titre de séjour pour les métiers dits “en tension”. Une manière de rationaliser le manque de main d’œuvre dans certains secteurs par l’emploi de travailleurs étrangers en quête de régularisation. Mais à qui cette mesure profite-t-elle vraiment ? Les employeurs des secteurs en tension ? Les sans-papiers en attente de régularisation ? Les étudiants étrangers en recherche d’emploi ? Imprimatur a enquêté pour vous.
Encore un. Olivier Dussopt et Gérald Darmanin, respectivement ministres du Travail et de l’Intérieur, présentent le mardi 6 décembre leur projet de loi immigration. S’il aboutit, il constituera la 29e loi sur l’accueil et l’immigration depuis 1980. Pour l’heure, seuls quelques points du texte ont été divulgués et ont fait couler beaucoup d’encre. Le duo exécutif promet la création d’un titre de séjour pour les sans papiers exerçant un métier dit “en tension”. L’objectif est de résoudre une équation apparemment simple. D’un côté, des employeurs déplorant un manque de main d’œuvre. De l‘autre, des sans papiers cherchant à être régularisés.
“Mieux intégrer et mieux expulser”
Pour la première fois, la valeur sociale d’un travailleur étranger est reconnue. Il n’est plus seulement question d’aborder l’immigration sous l’angle de la délinquance et de la sécurité, mais bien d’assumer que l’immigration peut être bénéfique à notre économie. Dans les colonne du Parisien le 4 décembre, le président de la République déclarait dans ce sens : “on a besoin, dans certains secteurs sous tension, d’avoir une force de travail immigrée”.
Mais est-ce une réelle bonne nouvelle pour les sans-papiers cherchant à s’intégrer dans la société française ? C’est en tout cas ce que confirme Gérald Darmanin le 6 décembre au micro de France Info : “Il s’agit de mieux intégrer”. La suite, cependant, est moins engageante “(…) et de mieux expulser”. De fait, cette mesure de régularisation par le travail est la caution humaniste d’un projet de loi qui, dans son ensemble, demeure sécuritaire et répressif.
Parmi les autres mesures constitutives de cette ébauche de loi, l’inscription de toutes les personnes sous OQTF (obligation de quitter le territoire français) au fichier des personnes recherchées, la réduction des délais de recours à ces injonctions d’expulsion ou encore le conditionnement de l’obtention d’un titre de séjour à la réussite d’un examen de français… De quoi nuancer, donc, le caractère rassurant des annonces autour du projet. D’ailleurs le ministre de l’Intérieur ne s’en cache pas, c’est un plan à deux vitesses “On veut ceux qui travaillent, pas ceux qui rapinent”.
Une vision précaire de l’immigration
Être “gentil avec les gentils” et “méchant avec les méchants”. C’est en ces termes que le ministre décrivait son projet de loi en cours d’élaboration par son gouvernement sur le plateau de BFMTV le 2 novembre dernier. Une approche qui crée la controverse. Benoît Hamon, ancien ministre de l’éducation nationale et actuel président de Singa – une association qui facilite l’intégration économique des étrangers – s’est exprimé le 6 décembre au matin sur le plateau de France Info : c’est une vision “utilitariste et assez déshumanisante de l’immigration”. Élodie Chadourne, avocate au barreau de Bordeaux spécialisée dans le droit des étrangers, partage ce constat.
Selon elle, la loi ne vise pas réellement à intégrer les travailleurs étrangers dans la société française, puisque le titre de séjour qui leur sera délivré n’est que temporaire. “On permet à un étranger de combler les besoins, mais dès que le secteur dans lequel il travaille ne sera plus considéré comme “en tension”, il se verra opposer un renouvellement de son titre de séjour”. Gérald Darmanin ne s’en était d’ailleurs pas caché sur le plateau de BFMTV : « si le métier n’est plus en tension, évidemment que cette personne perdrait son titre de séjour au bout d’un an« . “C’est une mesure qui demeure précaire pour les travailleurs étrangers”, déplore l’avocate.
Rien de nouveau sous le soleil
Cette disposition veut réformer la circulaire Valls de 2012, qui invitait les préfectures à régulariser les sans-papiers les plus “intégrés”, c’est à dire ceux présents depuis plusieurs années sur le territoire et en mesure de présenter 24 fiches de paie, preuve d’exercice professionnel. Avec cette nouvelle réforme, il s’agirait également de favoriser ceux qui sont les plus “utiles”, c’est-à-dire les travailleurs des secteurs “en tension”. Pour ceux-là, on simplifie les longues démarches de régularisation, qui dépendent aujourd’hui du bon vouloir des employeurs, et on accorde plus volontairement les titres de séjour. Mais pour les autres, les démarches longues, complexes et asymétriques en termes de rapport employé-employeur resteraient de mise.
Cette logique du “baton et de la carotte”’, présentée comme innovante par ses concepteurs, n’a pourtant rien de nouveau. Déjà aujourd’hui, les préfectures sont priées d’être plus clémentes quand un sans-papier en demande de titre de séjour exerce un métier en tension. Alors, Elodie Chadourne nous le confirme, il n’y a rien de nouveau sous le soleil : “Cette mesure ne fait que transformer en loi ce qui est déjà appliqué aujourd’hui dans les faits”.
Un texte utile ?
Catherine Wihtol de Wenden, directrice de recherche au CNRS et membre du collectif « migrations en questions », le craint : « Ce projet n’a rien de bien différent des 28 derniers textes de loi sur le sujet depuis 1980. Il ne fait que codifier ce qui est déjà dans la pratique et confirmer la surenchère sécuritaire des 30 dernières années« . Pour Elodie Chadourne, cette loi dans sa forme actuelle n’est qu’un “effet d’annonce”, sentiment qu’elle dit partager avec plusieurs de ses collègues.
Alors, pourquoi rédiger une nouvelle loi sur l’immigration si elle ne change rien dans la pratique ? Pour Catherine Wihtol de Wenden, il s’agit uniquement d’un jeu de posture : “chaque gouvernement veut laisser sa trace. Il n’y a pas de réelle volonté de changement mais seulement d’affichage.” La chercheuse y voit même une volonté carriériste de Gérald Darmanin : “Il se voit comme Nicolas Sarkozy qui, en instrumentalisant l’immigration, espérait récupérer les voies de l’extrême droite”.
Un jeu d’équilibriste
Autre explication, cette mesure viendrait adoucir un projet de loi trop régalien ayant peu de chance d’être adopté par l’assemblée nationale. Cet opportunisme, c’est ce que le JDD révèle dans un papier du 4 décembre dernier. Il explique que le président réélu, conscient de l’arrivée d’une force de gauche à l’Assemblée Nationale, aurait été contraint d’ajouter une mesure “humaniste” à un projet de loi risquant d’être jugé trop à droite. Un jeu d’équilibriste, donc : conserver le volet sécuritaire chère à la droite sans effrayer la gauche. Et le tout, en se distinguant du Rassemblement national.
Pour aller plus loin
- Live-Tweet du débat à l’Assemblée Nationale sur le projet de loi Immigration, par Sofiane Orus-Boudjema et Zoé Moreau
- Du visa étudiant au visa salarié : le parcours du combattant pour les étudiant·es immigré·es, par Emma Guillaume et Sara Jardinier
- Restauration en tension : des titres de séjour sur le feu, par Luigy Lacides et Adam Lebert
- Immigration de travail : un atout économique pour la France, par Zeina Kovacs
Zoé MOREAU (@MoreauZo2)
Sofiane ORUS-BOUDJEMA (@OrusSofiane)