Portraits croisés de trois artisans au marché de Noël de Bordeaux

Sur 122 exposants place des Quinconces, 32 sont des artisans et producteurs locaux. À l’heure où un cadeau est si vite acheté en ligne et à l’autre bout du monde, que disent ceux qui travaillent encore de leurs mains à l’occasion de Noël ? Portraits croisés de Bérangère, Laura et Arthur.

De gauche à droite : Bérangère, agricultrice, Arthur, potier et Laura, cirière, lundi 8 décembre 2025, au marché de Noël de Bordeaux place des Quinconces ©Elina Garcia

Au marché de Noël de Bordeaux, Bérangère régale les passants avec ses crêpes, Arthur expose fièrement ses poteries et Laura éblouit les flâneurs avec ses bougies. Ils ont en commun d’avoir quitté un emploi stable pour l’artisanat. Une prise de risque que peu osent, alors que le budget des Français pour Noël est en baisse. Instantanés de trois artisans un un soir de décembre place des Quinconces.

Bérangère

Sous ce chalet en épicéa, une odeur de beurre fondu flotte dans l’air. Derrière sa crêpière billig brûlante, Bérangère, 48 ans, s’active avec une grâce tranquille, un sourire accroché aux lèvres, comme une signature. Petite femme brune au carré court et bouclé, elle dégage cette chaleur rare qui attire les passants, avant même qu’ils n’aient aperçu ses crêpes dorées.

Son stand, « D’âme Nature », tranche avec les chalets de gadgets importés à bas prix. Ici, tout est sobre, presque rustique : des pots de confiture alignés comme dans une cuisine de maison de campagne, un écriteau simple, des ingrédients bio venus du Lot-et-Garonne. Bérangère aussi vient de là-bas. « J’achète tout aux copains, en direct. Je paie certainement moins cher qu’à Métro (NDLR : grossiste alimentaire) », glisse-t-elle, en versant une louche de pâte.

Avant d’être la « dame des crêpes », elle a été préparatrice en pharmacie pendant deux ans, masseuse pendant dix. Elle est maintenant agricultrice. Plantes aromatiques, médicinales, puis confiture, le lien est tout trouvé : désormais, ce sont ses propres crêpes qu’elle tartine de ses produits maisons. « C’est la seule pâtisserie que je réussis », rit-elle, les yeux pétillants. 

Cette année est sa première sur un marché de Noël. Et pourtant, Noël… elle n’aime pas. « Beaucoup trop commercial », dit-elle sans détour, Bérengère est contre la société de consommation. Cohérent pour celle qui incarne un artisanat authentique, loin des achats impulsifs d’Amazon ou de Shein. Son stand, c’est un pied de nez à la logique du toujours plus : une pause, un geste simple, un produit fait main. 

Si elle est là, c’est aussi par nécessité. Les gros événements (festivals, salons, foires…) sont une part essentielle de ses revenus. Les après-midi trop calmes du marché peuvent la lasser. Les flux irréguliers, l’attente, le froid. Mais la voilà chaque jour, à lisser la surface de sa pâte à crêpes avec l’assurance des artisans pour qui le geste compte autant que le résultat.

Et quand on lui demande ce qu’elle aimerait recevoir à Noël, elle hésite, rit : « aucune idée ». Elle manque de temps, dit-elle. Peut-être parce qu’elle le passe à le donner aux autres durant un mois de décembre où l’essentiel se perd parfois dans un colis express.

Arthur

Doudoune fermée jusqu’au cou, regard fatigué, [il est 20h] mais assurément aimable, Arthur, 32 ans, tient son stand de poterie jusqu’à la fermeture du marché de Noël [70h de travail par semaine]. La photo le gêne un peu, rictus à la joue droite, il se détend, clic, la prise est bonne.

Arthur est potier. La terre qu’il travaille vient de Dordogne, région d’origine de sa mère, sculptrice de profession. Son père aussi est potier, leurs ateliers sont voisins sur le bassin d’Arcachon. Il n’a pas suivi de formation spécifique, sa carrière a débuté après son école de commerce avec l’envie d’être à son compte. L’affaire fonctionne bien, il embauche parfois dans son atelier à La-Test-de-Buche.

Le regard plongé sur son stand, Arthur est fier de ses produits. Chaque pièce, précise-t-il, représente un mois de fabrication pour des prix allant de 9 à 55€. À travers ses œuvres, il cherche à stimuler son imagination en pensant à de nouvelles collections. Sa touche ? Le mélange de terres. « Mon vase favori, le voici », désigne une jarre claire chapeautée d’un enduit plus sombre. Le regard plongé sur son stand, Arthur est fier de ses produits. Il expose sur les marchés toute l’année depuis cinq ans « je vends moins aujourd’hui que lors de mes premiers marchés mais j’arrive à vendre quand même, sinon je ne reviendrais pas » ajoute-t-il en souriant. 

Des visiteurs s’approchent du chalet, un lot de tasses s’en va, ballotté entre de nouvelles mains. Arthur baisse la tête et dans une confidence souffle qu’il aime Noël surtout parce que c’est la meilleure période de vente pour la poterie, le mois de décembre est réservé à la vente. 

Sous le sapin, Arthur déposera des cadeaux personnalisés pour ses amis « toujours de l’artisanal, évidemment et du local ! ». Comme une manière de prolonger, même hors du marché, son souhait d’authenticité. 

Laura

Assise derrière son stand, on ne remarquerait presque pas Laura tant ses longs cheveux blonds se fondent dans les lumières chaudes des guirlandes. Il faut s’approcher pour comprendre que, non, Laura ne vend pas de vraies fleurs, mais des bougies. « J’ai créé ma marque il y a deux ans : Ma Bougie Bordelaise. Je réalise des bouquets de fleurs en cire de colza ». Tout le stand sent la vanille.

« Avant ? J’étais préparatrice de commande en pharmacie. J’étais salariée… mais j’en ai vite fait le tour ». Ce qui était une passion pour la jeune femme de 26 ans est alors devenu un métier à plein temps. Elle s’est fabriqué un petit atelier dans son garage où son conjoint l’aide les week-ends. Confectionner un bouquet lui prend environ une heure, elle les vend ensuite une vingtaine d’euros. 

Son but sur le marché de Noël est autant de se faire connaître que de commencer à être rentable. Laura est présente sur Etsy, Instagram et TikTok, les nouveaux modes de consommation en ligne obligent. 

Pourtant, elle préfère vendre plus en quantité que cher et très peu. Ce qui la stimule le plus, c’est l’aspect créatif de son travail. « J’adore les commandes personnalisées. Surtout celles pour les mariages. »

Laura travaille d’arrache-pied durant le mois de décembre. Sa famille demeure compréhensive, consciente de l’importance de la période de Noël pour l’artisanat. Pour autant, le rythme ne la rebute pas. « Je rentre chez moi très fatiguée, mais travailler pour soi, je trouve que c’est pas pareil : on sait pourquoi on le fait. » La passion de Laura fait se demander où se trouve la véritable valeur d’un cadeau… dans l’objet en lui-même ou dans l’engagement de celui qui l’a fabriqué. 

Lire aussi : L’empreinte carbone des fêtes de fin d’année : le poids des cadeaux de Noël sur le climat

Lire aussi : Face à la précarité, des cadeaux de Noël à prix minis à la braderie du Secours Populaire de Cenon

Élina GARCIA et Étienne CALMON–MEY

Retour en haut
Retour haut de page