À l’occasion de la journée des droits des femmes, Imprimatur lance une série de portraits. Première rencontre : Nicole Blet, militante féministe depuis l’adolescence et aujourd’hui membre du planning familial.
Derrière la porte bleue de l’une des échoppes qui s’alignent le long de la grande avenue Thiers se trouve un secret bien gardé. La façade un peu austère du bâtiment ne laisse rien présager de l’ambiance conviviale qui règne au planning familial. L’accueil est chaleureux et dévoué, et la décoration a été pensée méticuleusement. De part et d’autre du couloir recouvert d’un tapis et bardé de livres, les pièces sont aménagées comme des petits salons, prêts à recevoir.
Quand Nicole Blet arrive, elle n’hésite pas à rompre le charme de l’endroit. Pas de préciosité qui vaille pour la sexagénaire, elle va droit au but. Très bavarde sur le fonctionnement de l’association, elle insiste pour qu’on ne la coupe pas quand elle se lance dans des explications.
Une féministe de la première heure
Un châle rouge autour du cou et des lunettes de la même couleur posées sur la tête, Nicole écoute attentivement nos questions et prend tout le temps qu’il faut pour y répondre. Une des choses qui l’inquiète beaucoup, c’est la fragilité des acquis du féminisme en Europe. Elle évoque les mouvements conservateurs européens, qui voudraient revenir sur certains droits acquis il n’y a pas si longtemps. Elle nous invite à aller voir ce qui se trame du côté de certaines associations ultra-conservatrices, qui voudraient faire reconnaître le statut d’être vivant pour un fœtus.
Pour celle qui a connu les avortements à l’aiguille à tricoter dans la cuisine de sa mère, ou encore les rendez-vous gynécologiques clandestins, on comprend que l’inquiétude soit vive. « J’avais 16 ans, et je suis allée me faire prescrire la pilule, j’étais morte de trouille. Si mes parents l’apprenaient, j’étais foutue. Au sens propre, je pense », se remémore-t-elle vivement.
Le chemin parcouru paraît considérable, pourtant certaines situations sont alarmantes encore aujourd’hui. Ainsi, Nicole évoque le manque déplorable de structures d’accueil pour les femmes victimes de violence à Bordeaux : « 32 places pour les femmes avec enfant seulement, pour Bordeaux et son agglomération ! » Une fois, avec ses collègues, ils ont dû prendre sur les fonds du planning familial pour loger une jeune femme qui avait fui un homme violent qui la prostituait. « La seule chose qu’on nous proposait, c’était le 115, mais là-bas elle allait potentiellement retrouver les personnes qu’elle fuyait, et elle était complètement traumatisée, il aurait fallu un suivi », explique la militante.
À 17 ans, Nicole luttait déjà contre les violences faites aux femmes : « On faisait des réunions entre filles où on mettait les garçons dehors. On se réunissait dans les locaux du journal Libération et on discutait sur les femmes victimes de violences ». Ce sont alors les années 70, et Nicole est élève au lycée Montaigne, à Bordeaux. D’où lui vient cet engagement, si tôt ? « J’avais un père qui était excessivement macho, violent, qui était dans la toute-puissance. Vers 17-18 ans, j’ai commencé à militer ». De là peut-être la nécessité d’avoir du répondant.
« On se prenait la tête sur la place de l’homme »
« Elle va jusqu’au bout de tout, que ce soit dans le militantisme, ou dans ses relations avec ses proches », décrit sa fille, Soizig. Elle admire ce trait jusqu’au-boutiste du caractère de sa mère, qui a donné une teinte joyeuse à ses souvenirs d’enfance. « Avec mon petit frère, on a été bercés dans le militantisme depuis tout petits, on a été entourés de discours très militants. On parlait de tout, sans tabou. J’ai des amies qui ont fini par se confier sur des questions comme l’IVG », se souvient la jeune femme. Soizig et son frère apprennent à faire les lessives ensemble. Pas de tâche genrée qui tienne dans la maisonnée. Quant aux parents, c’est le père qui fait le ménage et la mère qui fait la cuisine.
« C’est arrivé plusieurs fois qu’on se prenne la tête sur la place de l’homme. Je trouve qu’il ne faut pas remplacer un extrême par un autre », estime la jeune femme. « J’ai eu un petit moment de rébellion dans mon parcours de femme à moi. Ma génération est peut-être sortie du combat parce qu’il y a eu beaucoup d’acquis. Mais petit à petit, je reprends pied avec tout ça. Le combat est loin d’être fini », se souvient-elle.
Les enfants ont embrassé l’héritage de leur mère, à l’époque bien occupée entre son travail d’infirmière psychologue et son engagement bénévole pour les associations. « Pas bénévole, corrige Nicole, ça fait catho. Ben oui, en latin, ça veut dire faire le bien, on n’est pas là pour faire le bien ! Je préfère me dire militante. »
Ne pas transiger sur les droits des femmes
« Nicole est activiste, elle met en place des choses pour bouger », explique Martine, l’une des rares salariées de l’association. Peut-être est-ce une question de génération. « C’est pas la même chose d’avoir 30 ans, 40 ans, 60 ans, on n’a pas vécu les mêmes choses », estime la quinquagénaire. Au sein de l’association, les statuts, les avis, les personnalités diffèrent et Martine avoue que c’est très compliqué. Mais, heureusement les membres « se retrouvent autour d’un objectif commun : abolir les rapports de domination ». Grâce à cela, l’énergie qui circule au 334bis avenue Thiers est « positive et pas protocolaire, on est toutes et tous au même niveau », apprécie-t-elle. C’est cette énergie positive sans doute, qu’on ressent en pénétrant les lieux.
Avec son franc-parler et son léger accent bordelais, Nicole n’hésite pas à nous corriger sèchement quand on évoque les « financements » du planning : « on fonctionne avec des subventions, et des adhésions ». Les aides sont accordées au terme de démarches très contrôlées et pénibles. « Les gens croient que l’argent arrive de nulle part et que les membres de l’association se servent au passage, mais tous les ans c’est la galère pour constituer les budgets ! », explique-t-elle.
Il faut alors être stratégique, « mettre ses oeufs dans plusieurs paniers », comme dit Nicole, et faire preuve de détermination. À Bordeaux, les locaux sont à la charge de l’association, contrairement à d’autres villes. La mairie octroie une subvention annuelle de 2000 euros au planning, alors qu’il doit régler un loyer de 900 euros tous les mois. Ainsi, la militante rit jaune quand « Juppé veut laisser croire que les droits des femmes sont une priorité pour la Ville ».
Nicole a refusé de participer aux Sociétales, le forum organisé par la mairie, à l’occasion de la journée des droits des femmes, le 8 mars. Elle n’a pas manqué de faire remarquer l’hypocrisie de leur prétendu engagement aux élus. L’ancienne présidente du planning familial, qui n’a pas sa langue dans sa poche, met toute son énergie à faire changer la donne. Elle reste vigilante à ce que le féminisme ne devienne pas être une mode ou un calcul électoral.