Les cheminots français sont en grève depuis le 3 avril pour protester contre l’ouverture à la concurrence prévue par la réforme de la SNCF. L’Angleterre et l’Allemagne on fait le choix depuis bientôt un quart de siècle de libéraliser leur réseau de chemin de fer. Une même décision au départ qui a pourtant mené les deux pays sur des voies bien différentes.
La réforme de la SNCF se profile à grande vitesse. Et avec elle, l’ouverture à la concurrence sur le réseau français. Décision validée sous le quinquennat de François Hollande, elle résulte d’une directive européenne. La libéralisation des trains commerciaux (TGV) doit donc être décidée au plus tard en décembre 2020. Pour les trains subventionnés (TER ou Intercités), la date limite est fixée à fin 2023.
Pionnière en la matière, l’Angleterre ouvre ses lignes de chemin de fer à la concurrence en 1994. Dans un premier temps, l’entretien et la maintenance du réseau sont également privatisés. Mais après deux accidents ferroviaires à Ladbroke Grove en 1999 (31 morts) et de Hartfield en 2000 (4 morts), le gouvernement fait marche arrière. L’accident de Hartifield était dû à un manque d’entretien des rails. Cela pousse le gouvernement à renationaliser l’entretien et la maintenance en 2001.
Une fréquentation en large hausse depuis 25 ans malgré des tarifs prohibitifs
Résultat : un bilan inégal un quart de siècle après cette décision. Le taux de satisfaction des usagers est plus élevé qu’en France. La fréquentation des trains a, quant à elle, quasi-doublé en 25 ans. « Le système a énormément progressé après un démarrage catastrophique. C’est devenu l’un des plus sûrs d’Europe, et en terme de retards, c’est au niveau de la France », déclare Yves Crozet, professeur au Laboratoire aménagement économie et transports de l’Université de Lyon à l’AFP. Cependant, la privatisation a entrainé une très forte augmentation des billets de train, désormais parmi les plus chers d’Europe.
Les prix des billets de train ont bondi de 25% depuis 1995. Une augmentation qui n’est pas passée inaperçue chez les voyageurs anglais qui s’organisent régulièrement pour protester devant les gares.
Au cours de l’année 2017, les cheminots anglais ont enchainé les jours de gréve. Au cœur de leurs griefs : le manque de moyens et de personnel, mais aussi le fait que certaines franchises appartiennent à des groupes étrangers. Southern Rail est par exemple la propriété de l’anglais Go-Ahead et du français Keolis, une filiale de la SNCF. Ainsi, selon le syndicat TSSA, le réseau public français serait alimenté par les bénéfices issus du réseau Southern Rail. TSSA a mis en ligne une vidéo où des européens remercient les usagers anglais de financer leurs lignes de chemin de fer publiques.
Un modèle qui effraie les employés français de la SNCF. A tel point que la ministre des transports, Elisabeth Borne a précisé à l’Assemblée nationale le 9 avril dernier : « On nous renvoie systématiquement le cas de l’Angleterre en exemple pour discréditer notre démarche. Mais je le redis ici : l’Angleterre a fait des choix très différents des nôtres depuis très longtemps, elle n’est donc pas notre modèle. » C’est le modèle allemand qui est cité en exemple par le gouvernement.
Le modèle allemand : quasi-monopole d’une entreprise d’Etat
En Allemagne, la bascule de la libéralisation se fait également en 1994. La Deutsche Bahn (DB) naît de la fusion des opérateurs est et ouest-allemands. Transport de marchandises et de voyageurs et prise en charge de l’entretien du réseau : l’entreprise est intégralement détenue par l’État fédéral. Même si, en 2008, l’introduction en bourse de la DB est compromise par la crise financière. La société anonyme de droit privé est d’ores et déjà soumise à un impératif de rentabilité. Si, en théorie, le secteur est ouvert à la concurrence, rares sont les compagnies privées qui ont pu s’y faire une place. Cependant, plus d’un quart des petites lignes ferroviaires allemandes sont exploitées par des entreprises privées.
Manque d’investissement dans les infrastructures, accidents graves, trains supprimés ou en retard, le modèle allemand, plébiscité par le gouvernement français, n’est pas exempt de tout reproche. »Pendant des décennies, les investissements dans nos infrastructures ferroviaires ont été négligés et les effectifs si drastiquement réduits que les trains allemands ont perdu tous leurs avantages sur les autres modes de transport », déclarait Claus Weselsky, président confédéral du GDL, un syndicat allemand de conducteurs du rail au journal Marianne. « Dans un premier temps, cette concurrence s’est faite exclusivement sur le coût du travail et donc les salaires des conducteurs de trains et des personnels à bord des rames. »
En février 2016, un accident ferroviaire lance une controverse sur l’impératif de rentabilité des réseaux allemands. Deux trains de la compagnie privée Meridian se percutent de plein fouet en Bavière. Bilan : 10 morts et plus de 80 blessés. Les deux trains n’étaient pas équipés de systèmes d’arrêt d’urgence automatique en cas de présence de deux trains sur la même voie. Trop couteux.
Entre le modèle anglais craint par les cheminots et le modèle allemand plébiscité par le gouvernement, les inquiétudes des employés de la SNCF sont au beau fixe. Dans la balance : les nouvelles embauches sous le statut de cheminot et l’ouverture à la concurrence. Les négociations avec le premier ministre, Édouard Philippe, devraient reprendre à partir du 7 mai.