Un commerçant fictif refuse de servir Julie. Il l’insulte. C’est bref et blessant. La raison ?
Son origine, son genre, son orientation sexuelle, ça peut être tout. Julie vient d’être victime d’un acte de discrimination. Plusieurs possibilités s’offrent à elle. Voyons comment cette situation va évoluer.
Elle ne fait rien et rentre chez elle
La première chose qui saute aux yeux, en se penchant sur les statistiques publiées par l’observatoire des discriminations sur Bordeaux, c’est que très peu de personnes portent plainte. Julie se dit alors que « ça ne servira à rien », « qu’il faut serrer les dents et laisser couler ». Pour Jérémy Saiseau, doctorant en droit public et européen spécialisé dans le droit concernant les discriminations, les raisons de cet attentisme sont complexes : « Cela tient à l’effet d’assignation identitaire qu’entraîne le statut de victime. C’est-à-dire d’accepter le statut de minorité et surtout d’imaginer que la justice du pays soit capable de vous protéger en tant que minorité. » Les victimes se tournent en effet le plus souvent vers leurs ami(es) ou leur famille pour faire part de leur expérience. Ce sont les lieux privilégiés d’écoute et d’assistance. Au final, seuls 13,5% des personnes interrogées contactent une association. Et seuls 3,5% portent plainte.
Dessin de Elliot Raimbeau
Elle porte plainte, mais son dossier est classé sans suite
Si le droit français est assez répressif envers les discriminations, figurant en bonne place dans le chapitre sur les atteintes à la dignité de la personne, il reste difficile à appliquer. Mme Boutard, présidente de la commission juridique de la LICRA à Bordeaux (Ligue Internationale Contre le Racisme et l’Antisémitisme) assiste les victimes dans ces démarches. « Nous essayons de les accompagner au maximum car le milieu judiciaire reste assez obscur et difficile d’accès. Même si les gens hésitent de moins en moins à porter plainte, tout le processus judiciaire, la plainte, la phase d’enquête, les comparutions immédiates quand il y en a, peut paraitre infranchissable ». Deux obstacles majeurs se confrontent à Julie. Après avoir accepté son statut de victime, il y a toujours la difficulté de monter un dossier. Sur les 14 dépôts de plainte de la période 2014-2015, 9 ont été classés sans suite.
Sa plainte est retenue, mais elle perd le procès
Julie persévère et parvient à porter plainte. Elle connait le commerçant et sait où il se trouve. Elle se souvient de son visage, banal et de son regard haineux. Bientôt, elle se retrouve face à lui. En effet, elle doit l’identifier formellement dans la procédure. Arrive alors la phase la plus complexe : apporter la preuve de la discrimination. « Parmi les procédures judiciaires, généralement les gens ne retiennent que le juge pénal (devant lequel il est particulièrement difficile d’apporter la preuve de la discrimination) alors qu’il existe d’autres procédures, devant les prud’hommes ou devant le juge administratif, plus efficaces mais aussi moins connues », rappelle Jérémy Saiseau. Les actes de discrimination, contrairement aux propos et aux violences racistes, peuvent être traités par une juridiction civile. Cela change beaucoup de choses car le régime de la preuve n’est pas le même. En effet, dans le pénal, c’est à la victime de prouver qu’il y a bien eu un acte de discrimination. Il faut non seulement prouver les faits, mais aussi l’intention de la personne. Dans la procédure civile, ce serait au commerçant de prouver qu’il n’y a pas eu d’acte de discrimination, pas à Julie. Mais dans ce cas de figure, il ne peut y avoir que des dédommagements financiers, pas de condamnations.
Julie gagne son procès
Elle rejoint alors les 0,05% de victimes ayant gagné un procès de discrimination à Bordeaux.