Pas moins de six étals étaient garnis d’asperges, sur le marché de Blaye, ce mercredi. Pourtant, aucune de ces emblématiques pousses de la région ne se revendiquait d’être du Blayais.
« Voyez, l’asperge des Landes est couleur craie, tandis que l’asperge du Blayais tire un peu plus sur le jaune ». Francis Jallet, producteur depuis près de 25 ans, connaît son légume par cœur. En ce mercredi pluvieux et glacial, il propose ses premières récoltes aux rares passants qui arpentent les allées du marché. Comme lui, ils sont cinq autres à proposer leur production à la vente.
Le Blayais, qui balaie le territoire de l’estuaire de la Gironde jusqu’au Libournais, et du Bourgeais (la région de Bourg-sur-Gironde) à la Haute Saintonge, est aussi célèbre pour ses asperges que pour son vignoble. L’identité de la ville de Blaye, sa plus grande agglomération, est définitivement marquée par cette asperge millésimée, notamment parce que de nombreux producteurs se sont installés à Reignac, à une vingtaine de kilomètres de la ville.
C’est le cas de maraîchers indépendants comme Francis Jallet et de certaines coopératives, comme Prim’Blayais, qui commercialisent tous deux leurs produits sur les marchés des environs. Ils cultivent leurs légumes exactement au même endroit. Pourtant, au marché, ils n’affichent pas la même provenance devant leurs étals. Prim’Blayais vend ces fameuses “asperges du Blayais”, tandis que M. Jallet vend des “asperges de France”.
100 euros de cotisation par hectare
Pourquoi Francis Jallet ne revendique-t-il pas la localisation de sa production ? Tout simplement, parce que depuis près de quatre ans, il n’en a pas le droit. En 2015, l’Association des Producteurs d’Asperges du Blayais (APAB), qui réunit une trentaine de membres, a déposé l’appellation “asperges du Blayais” pour valoriser un produit emblématique de la région. Elle a aussitôt invité les autres exploitants du Blayais qui ne font pas partie de l’association à rejoindre leur communauté. Mais pour revendiquer l’origine de ses produits, il faut en avoir les moyens.
Car le cahier des charges en vue de l’obtention de l’IGP “asperge du Blayais” est très contraignant. « La terre, composée à 75% de sable, doit être soumise à une granulométrie (étude de la composition) ainsi qu’à une hygrométrie (mesure de l’humidité). Les asperges doivent être mises au froid en moins de dix heures après récolte, et la traçabilité du produit doit être détaillée et disponible à tout moment », explique Soizic Breton, animatrice de l’Association des Producteurs d’Asperges du Blayais (APAB) et gérante de la coopérative Prim’Blayais.
Lionel Perroteau est un adhérent de la première heure de l’IGP. En 2015, il a choisi de s’y soumettre pour “rassurer les clients”. Depuis quatre ans, celui qui cultive dix hectares dans son exploitation familiale située à Saint-Saurin doit donc se soumettre à un contrôle interne annuel, qui coûte entre 250 et 300 euros. Tous les trois ans minimum, il doit aussi financer un contrôle réalisé par l’organisme de contrôle de l’APAB, Qualisud. « C’est bien trop contraignant pour un producteur comme moi, déplore Francis Jallet, je n’ai pas les moyens de payer cette somme et ces contrôles exigeants et inopinés seraient contre-productifs ». Et il est loin d’être le seul à avoir renoncé à l’appellation. Dans le Blayais, sur près de 80 producteurs d’asperges, seuls 26 ont fait la démarche pour obtenir l’IGP.
Le Blayais au Japon
Pourtant, cette distinction est un véritable gage de qualité sur le marché, d’après Soizic Breton. “L’IGP valorise énormément l’asperge, que cela soit au niveau national ou international”. Certains exploitants parviennent à vendre leurs produits jusqu’au Japon. Pour son association, qui a bataillé pendant près de douze ans pour obtenir l’IGP, il s’agit donc d’une victoire. Celle-ci a en effet nécessité de l’aval de grandes institutions comme le ministère de l’Agriculture, mais aussi la Commission européenne. La surface de production de l’APAB a ainsi pu augmenter : en 2015, elle représentait 114 hectares, contre 176 aujourd’hui. Avec une production de 220 tonnes d’asperges en 2018.
Consciente des contraintes que l’IGP représente, Soizic Breton ne désespère pas de persuader les exploitants réfractaires à les rejoindre. « Nous avons de nouveaux adhérents chaque année », s’enorgueillit-t-elle. Francis Jallet n’est pas prêt d’être convaincu. Selon lui, les producteurs IGP ne lui font pas réellement concurrence sur le marché. « L’appellation fait la différence lorsqu’il s’agit de l’exporter, mais ici, à Blaye, les locaux n’y font pas attention. » Celui qui vendait ses asperges onze euros le kilo, contre douze euros pour les asperges du Blayais de Lionel Perroteau, ce mercredi 13 mars, confie qu’il est particulièrement difficile pour un acheteur lambda de faire la différence entre une véritable asperge du Blayais et les autres. Ce qui fait bien l’affaire de certains producteurs ou revendeurs, moins honnêtes.
La fraude à l’asperge, difficilement punissable
« Type : Asperges, Origine : Blayais » peut-on lire à plusieurs reprises au détour des étals du marché. Or, ce matin, Prim’Blayais, le seul producteur possédant l’IPG qui se déplace au marché, est absent et Soizic Breton est catégorique : « Si l’exploitant ne possède pas l’IGP, il faut indiquer, par exemple, Gironde, Haute-Gironde, ou Reignac. Mais il est strictement interdit d’utiliser le terme “Blayais” ».
Francis Jallet a déjà remarqué que des revendeurs, et même des producteurs, affichaient « Asperges du Blayais » alors qu’ils ne possédaient pas l’appellation. A quelques mètres de son stand, Alexandre, un revendeur, révèle même que certains l’utilisent alors qu’elles ne viennent même pas de la région, mais des Landes, autre grande région de production en France, ou même de Grèce ou d’Espagne.
“Seuls des contrôleurs de la douane sont habilités à punir des fraudes de ce type”, se désole Lionel Perroteau, qui n’en a rencontré qu’une fois en 23 ans de carrière. L’organisme de contrôle de l’APAB, Qualisud, ne peut se contenter que de constater de tels faits. En revanche, pour les producteurs détenteurs de l’IGP, Qualisud peut déclasser leurs légumes et leur retirer leur habilitation s’ils ne respectent plus le cahier des charges. Les producteurs de “l’asperge du Blayais” sont donc suivis à la trace, mais aussi très valorisés. Particulièrement lors de la fête annuelle de l’asperge, l’un des plus gros événements du Blayais, qui aura lieu les 27 et 28 avril prochain, à Etauliers.