Natif d’un domaine aux confins de la Dordogne et de la Gironde, Michel de Montaigne a une histoire inextricablement liée à celle de Bordeaux. Retour sur cette relation complexe entre le philosophe et la capitale girondine.
Le fauteuil de maire de Bordeaux a été abandonné par Alain Juppé, le mois dernier. Élu pour la première fois en 1995, il laisse à la ville un réseau de transports moderne, une réputation prestigieuse, des quais somptueux et un avenir de grande métropole européenne. Il laisse aussi son bureau du Palais Rohan, alors que les gilets jaunes se pressent devant les portes de l’hôtel de Ville, toutes les semaines, depuis plus de quatre mois.
Michel de Montaigne avait, en son temps, occupé ce même fauteuil. Son bureau ne se situait pas à proximité de la Place Pey-Berland mais dans un autre hôtel de ville, dont la Grosse Cloche, toujours en place, constituait le Beffroi. Il avait également quitté son poste d’édile de manière anticipée. La peste sévissait alors dans la ville, emportant avec elle pas moins de 14 000 bordelais. Autres temps, autres problèmes…
A priori, l’auteur des Essais ne postule pas pour reprendre la tête de la capitale girondine. La ville s’est agrandie, étalée, bien plus que le philosophe n’aurait pu l’imaginer. Son domaine natal, situé en Dordogne, près de Castillon-la-Bataille, n’est plus qu’à environ une heure de route du centre de la métropole, et bientôt 35 minutes en train. Plus grand-chose à voir avec la ville à laquelle il était relié par un lien particulier. Une ville qui l’a aimé et qu’il a aimée.
Retour forcé
Avec un père élu maire de Bordeaux en 1554, une famille très présente au Parlement de Bordeaux, la voie de Michel Eyquem de Montaigne est toute tracée. Après un passage à la Cour des Aides de Périgueux, il siège à son tour au Parlement de Bordeaux. Il louvoie au sein des différentes chambres de cette assemblée, à une période troublée par les guerres de religion qui éclatent. Sa destinée s’écarte de la cité girondine. Il exécute ainsi quelques missions au sein des cours royales de Henri II, François II et Charles X.
Son lien à Bordeaux se renforce fortement avec une rencontre, la plus connue. A 25ans, Il rencontre La Boétie, lui aussi parlementaire à Bordeaux. Leur relation est forte, intense, et fera écrire à Montaigne une phrase passée à la postérité. « Si on me presse de dire pourquoi je l’aimais, je sens que cela ne peut s’exprimer. (…) Parce que c’était lui, parce que c’était moi. »
La mort de La Boétie l’écarte des affaires de la ville. Le philosophe se marie et se retranche dans la tour de son domaine périgordin. Malade de la gravelle et lassé des affaires domestiques, il part pour un voyage de près de deux ans, sorte de tournée des villes d’eau. C’est dans l’une d’elles, à Lucques en Italie, qu’il reçoit la nouvelle qui le fera finalement rentrer en Gironde. Revenir d’un exil pour prendre la tête de Bordeaux, une idée qui sera reprise, quelques siècles plus tard.
Il faut dire que la décision d’Henri III n’appelait pas de contradiction, comme l’écrira Montaigne par la suite : « Messieurs de Bordeaux m’élurent maire alors que j’étais éloigné de la France et encore plus éloigné d’une telle pensée. Je refusai, mais on m’apprit que j’avais tort, l’ordre du roi intervenant aussi en l’affaire ». Un courrier du roi vient confirmer l’ordre. « Et vous ferez chose qui me sera agréable et le contraire me déplairait grandement ».
La question ne se pose donc pas. Michel de Montaigne rallie la capitale girondine et prend son poste, bon gré mal gré. Les dossiers sont lourds, mais l’écrivain avait l’habitude de les traiter : les guerres de religion font toujours rage. Montaigne connaît les acteurs, ancrés dans la région comme lui, et traite avec eux pour préserver Bordeaux d’une deuxième nuit de la Saint-Barthélémy.
Toujours rattrapé par Bordeaux
Réélu en 1583, chose très rare à l’époque, Montaigne profite de son retour en Guyenne pour retrouver son domaine natal. Ses allers-retours sont fréquents avec le Périgord, malgré un temps de trajet qu’on n’imagine plus de nos jours. Deux jours de trajet à cheval, la Dordogne et la Garonne à traverser et des brigands à éviter pour rejoindre l’hôtel de ville bordelais : la partie était rude.
La fin de son mandat en 1585 et son retour en Castillonais illustrent bien l’attachement que Michel de Montaigne éprouvait pour son domaine natal. Il est en déplacement quelques semaines avant la fin de ses deux dernières années en tant que maire de la ville, lorsque la peste éclate. L’édile ne souhaite pas faire partie des 14 000 âmes emportées par la maladie, et ne rentre pas à Bordeaux pour terminer son mandat.
Montaigne y reviendra finalement, encore une fois bien malgré lui…
Textes et réalisation : François Beneytou
Images : Romain Dybiec