Les revendications de Mai 68 ont soufflé sur les jeunesses du monde. Au Mexique, au mois de juillet 1968, des milliers d’étudiants prennent les rues de Mexico. Contrairement aux lancers de pavés Parisiens, l’épisode Mexicain va être très vite réprimé par le gouvernement de Diaz Ordaz. La répression s’achève une soirée d’octobre, sur une place culte de la capitale, dans un horrible bain de sang. 50 ans plus tard, cette nuit est encore dans le coeur de beaucoup de mexicains qui chaque année occupent la rue avec un slogan “No se olvida el 2 de octubre” (Nous n’oublions pas le 2 octobre).
La nuit du 2 octobre 1968
À l’apogée de la répression, les derniers leaders étudiants encore libres, organisent un meeting sur Plaza de las Tres Culturas, à Mexico. Cet amphithéâtre naturel, en plein coeur de la capitale, est idéal pour rassembler la foule. Perché au 3ème étage de la tour Chihuahua, une grande barre d’HLM, les orateurs se passent le micro tour à tour, acclamés par une immense assemblée, composée d’étudiants, de femmes et d’enfants.
Autour d’eux s’amassent des tanks et des escadrons de l’armée qui s’intègrent étrangement dans le paysage du moment. Personne ne pressent de danger. Un hélicoptère commence à ronronner au dessus de la place et s’immobilise près de l’Église coloniale de Santiago pour y lâcher une fusée lumineuse. C’est le signal. L’hystérie prend la foule qui essaie de se disperser au plus vite. Au micro un leader tente d’appeler au calme “No pasa nada, no pasa nada” (Tout va bien, il ne se passe rien). Mais les tirs fusent. Les troupes militaires avancent en escaladant les ruines aztèques de Tlatelolco. Ils tirent à vue sur le peuple. Les manifestants sont pris au piège et tentent de fuir vers l’unique sortie de la place en escaladant des corps et des murs hauts de 6 mètres. Le tout dans un horrible brouhaha de hurlements d’horreurs et de tirs de mitraillettes.
Vidéo du meeting du 2 octobre 1968
5 mois plus tôt ..
À l’été 1968, la jeunesse mexicaine s’unit à un mouvement étudiant mondial, ils réclament le droit de s’exprimer librement. Comme aux Etats Unis et en France, la libération sexuelle bat son plein sur les parvis de la fac. Les jupes raccourcissent. Les étudiants cherchent une vision alternative de leur monde inspirée notamment par les idéaux de gauche. Les universités deviennent alors un des rares bastion où les idées peuvent respirer librement.
Le mouvement étudiant se construit autour de revendications communes au Mai 68 français, « Les étudiants réclament l’accès à l’éducation et l’égalité à l’entrée de l’université » explique Ivan Torres, ancien journaliste mexicain. Néanmoins, « Les étudiants n’ont pas reçu le soutien des syndicats, rangés du côté du gouvernement. Tout comme les médias, où ils sont présentés comme des révoltés et des casseurs qui veulent mettre à feu la société » précise t-il.
Pour le Mexique, société traditionaliste, ces effluves contemporaines sont un grand bouleversement. Comme le souligne Ivan Torres, “A l’époque, l’Eglise et la politique c’était presque la même chose (…) Les étudiants veulent rompre avec ce patriarcat.” À cela s’ajoute que contrairement à la France le pays est dirigé d’une main de fer par Gustavo Diaz Ordaz, lui même à la tête du parti du PRI, encore aujourd’hui au pouvoir. Dans un contexte de pleine guerre froide, le président fait le choix d’un rapprochement avec les Etats Unis. “L’esprit de Che Guevara et des révolutions sud-américaines bat dans le coeur de la jeunesse mexicaine. Le gouvernement autoritaire s’infiltre donc pour surveiller les mouvements et il a été avéré que la CIA s’en était mêlé.”
À mesure que les manifestations s’organisent, l’armée s’infiltre progressivement dans les universités pour contrôler les émulations. « Des voitures blindées de l’armée ont commencé à rentrer dans les cités universitaires. » Le 26 juillet, les étudiants manifestent une 1ère fois contre la répression. Des cocktails molotovs et des gaz lacrymogènes sont échangés. Pour Diaz Ordaz, le président au pouvoir, ces révoltes arrivent au pire moment car en octobre le pays accueille les JO pour la 1ère fois de son histoire. Comme le rappelle Ivan Torres « Les jeux olympiques sont un enjeu politico-stratégique énorme. Ils symbolisent la gloire et la montée de la richesse au Mexique. Diaz Ordaz a vitrine à tenir propre »
Le secrétaire de l’intérieur va donc créer une unité de sécurité pour contrôler la situation : son nom, le Bataillon Olympique.« Ce n’est pas la police mais l’armée qui intervient et une partie du renseignement mexicain », cette surveillance ne va faire que réveiller les ardeurs, et les manifestations initialement pacifistes s’enflamment. Échauffourés violents, camions incendiés, perte de contrôle totale. Le mouvement se renforce et s’élargit, accueillant des familles, des professeurs. Cet élan étudiant vire au plébiscite national contre le PRI. Dans la rue, le président est insulté de fasciste.
« Le Mai 68 Mexicain s’est arrêté à coup de pistolet » Ivan Torres, ancien journaliste Mexicain
L’été se déroule dans le vacarme de violentes émeutes, la sécurité occupe constamment les Universités et 800 étudiants sont arrêtés. Une réclamation s’élève parmi les autres : Une négociation en public avec le président de la république.
Après le massacre, le silence
Le 2 octobre 1968, les leaders décident d’organiser un immense meeting, l’ultime meeting, Plaza de las Tres Culturas, sur les ruines azteques de Tlatelolco. Et ce soir là, « Le Mai 68 Mexicain s’est arrêté à coup de pistolet » admet le journaliste.
C’était à 18 heures. L’armée, qui encadre la manifestation, entre sur l’esplanade et sort les pistolets. Elle massacre la foule. Au 3ème étage du bâtiment Chihuahua, les leaders étudiants sont pris en embuscade par des soldats et d’autres hommes vêtus de gants blancs. Ils les forcent à descendre à coups de matraque pour embarquer mains sur la tête, tête baissée dans des camions de l’autorité, direction inconnue. Ils seront tous emprisonnés.
Le massacre est interminable, il durera 1h, laissant une esplanade maculée de sang et criblée de balles. Vers 8h du soir, l’armée s’attèle finalement au nettoyage de la place. Les cadavres et les blessés sont transportés en camion, parmi eux beaucoup d’enfants, des femmes.
Le nombre de morts reste encore un opaque mystère. La version officielle du gouvernement, admet 20 morts, mais toutes les études s’accordent autour d’un chiffre moyennant les 300 morts. Jusqu’à sa mort le président alors au pouvoir, Gustavo Diaz Ordaz maintiendra que l’armée a répondu à une attaque de casseurs qui avait infiltré la foule ce soir là. Pour Ivan Torres, « Il y a deux sortes de renseignements au Mexique, l’un est officiel, l’autre c’est la vérité. On ne saura jamais le nombre de morts ni le nombre d’emprisonnements, d’ailleurs aucun politique n’a jamais été arrêté, c’est pour cette raison que cet événement est encore si sensible dans le pays »
Chaque année les étudiants et les survivants occupent la place de Tlatelolco avec un slogan « No se olvida el 2 octubre » afin de dénoncer l’impunité du massacre comi cette nuit là. « La place aujourd’hui ressemble à une grande esplanade. On peut observer des marques de tirs, des égratignures, les traces d’une bataille. » « Ces commémorations ont quelque chose de très particulier, chaque année les survivants expliquent ce qu’ils ont vécu dans les détails. » 50 ans plus tard, l‘esprit de la lutte brûle toujours à Tlatelolco.
Marie Toulemonde
Traduction du poème de Rosario Castellanno, gravé sur le monument commémoratif
Qui ? Qui sont ils ? Personne. Le jour suivant, toujours rien. La place a été balayée et les journalistes ont principalement parlé de la météo. A la télévision, à la radio et au cinéma, personne n’a changé son programme. Ni une annonce, ni une minute de silence n’a entamé le festin. Et quel festin..
De nombreux artistes ont essayé de retranscrire ce qui s’était passé cette nuit là.