4 mars 2018. Cinq ans après son entrée au Parlement, le Mouvement 5 étoiles devient la première force politique italienne. Malgré 32,9% des voix aux élections générales, son leader, Luigi Di Maio, fait face aux faiblesses du parti.
Iconoclaste, inclassable… Le parti se revendique du ni-ni. Andrea, étudiant en droit de 21 ans, a voté pour le Mouvement 5 étoiles. Il est convaincu que cette image « fourre-tout » est « une manœuvre électorale« , destinée à attirer des électeurs de droite, alors que le « coeur, la base du mouvement, est de centre-gauche ». L’étudiant représente une certaine frange du mouvement, venue du Parti démocrate (PD) et pour qui « Renzi est un petit Berlusconi ». L’amertume d’Andrea est partagée par un grand nombre d’électeurs du PD ; d’après les chiffres d’Ipsos, ils sont 14% à avoir délaissé le parti de centre-gauche pour le M5S. « Une saignée », pour Camille Bedock, chercheuse au CEVIPOL (Centre d’Etude de la Vie Politique), de l’Université Libre de Bruxelles.
Toujours selon Ipsos, le M5S a conservé 76% de ses électeurs entre les élections de 2013 et celles de 2018, là où le PD n’en a gardé que 43%. Une base solide, séduite par les promesses du parti, comme le revenu unique, et ses discours grandiloquents contre la corruption des élites ou l’évasion fiscale. En somme, un grand pas vers l’État-providence. Et des arguments que l’on pourrait retrouver au sein du programme d’un parti de gauche, voire d’extrême-gauche. « Ce qui est frappant, c’est que la défaite des sociaux-démocrates au pouvoir n’a pas profité aux petits partis de gauche et d’extrême-gauche », analyse Camille Bedock.
Un électorat volatile
Flora Zanichelli, journaliste, a consacré en 2013 un livre au mouvement : Mouvement 5 étoiles, pour une autre politique en Italie. Pour elle, il faut observer le M5S non pas sous l’angle de l’idéologie, mais sous celui du terrain. « Le Mouvement 5 étoiles a un maillage local très étroit et très actif. Il veut être au plus près des gens, de leurs difficultés, et c’est sa véritable force de frappe ». Un travail de terrain payant. En Sicile, en Sardaigne et en Calabre, régions les plus pauvres et corrompues du pays, le M5S fait des scores impressionnants.
Pour autant, nuance Camille Bedock, « l’électorat est beaucoup plus volatile dans le Sud ». Et la base risque de s’éroder. Une érosion aussi précipitée par le vieillissement de la population italienne. Si le M5S arrive à toucher une large frange de la population, de 18 à 64 ans, et des catégories socio-professionnelles variées, des chômeurs aux jeunes actifs, il n’arrive pas à atteindre l’électorat plus âgé. « On peut imaginer un attachement plus fort aux partis politiques traditionnels », estime Camille Bedock. Or, en 2017, la moitié de la population italienne avait plus de 45 ans et le taux de fécondité du pays est le plus bas d’Europe. Le Mouvement 5 étoiles doit donc partir à la conquête des plus de 65 ans.
Coalition forcée
Loin de la figure iconique mais déstabilisante de Beppe Grillo, Luigi Di Maio, aux costumes impeccablement coupés, marque une rupture dans la forme comme dans le fond. « Certaines figures du mouvement occupent désormais le devant de la scène, comme Luigi di Maio mais également Alessandro di Battista, Roberto Fico, Barbara Lezzi… Des noms dont on ne parle pas beaucoup en France (…) mais qui ont toute leur importance sur la scène médiatique et politique italienne, peut-être plus que Grillo aujourd’hui », décrypte Flora Zanichelli. Le parti est devenu plus présentable. Il est entré de plain-pied dans la vie parlementaire, a lissé ses discours trop véhéments contre l’Europe et l’euro, et a verrouillé sa communication. Au risque de délivrer le même discours compassé que celui de l’ « élite », qu’il dénonce.
Mais la nouvelle loi électorale, qui favorise le mode de scrutin proportionnel, entrave la route du M5S. Il est peu probable que le gouvernement puisse gouverner seul. « Le but inavoué de cette réforme était d’affaiblir le Mouvement 5 étoiles », complète Camille Bedock. De quoi l’obliger à former une coalition. Sur le sujet, à chaque jour sa déclaration ambigüe. Si les alliances font encore l’objet de spéculations, « ils préfèreraient s’allier avec la gauche car elle a déjà gouverné ».