L’annonce d’Emmanuel Macron d’un possible retour en présentiel des étudiants à l’université a jeté le trouble au sein de la communauté universitaire. Syndicats, enseignants-chercheurs et étudiants dénoncent des directives paradoxales.
« Nous en sommes à la huitième modification d’emploi du temps depuis la rentrée de septembre ! » Directeur de l’UFR Sciences des territoires et de la communication (STC) à l’Université Bordeaux-Montaigne, Frédéric Hoffmann l’admet, les dernières annonces du gouvernement concernant l’université ont semé la pagaille. « C’est fatiguant et très lourd pour les personnels, de la secrétaire jusqu’au président, parce qu’on change de système en permanence. » C’est avec « circonspection » et « une certaine forme de lassitude » que ce maître de conférences a accueilli les dernières annonces gouvernementales.
Jeudi 21 janvier, Emmanuel Macron, dans le cadre d’un échange avec des étudiants de l’Université Paris-Saclay, a annoncé un possible retour des étudiants une fois par semaine dans leurs établissements. Le lendemain, une circulaire du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche a défini les nouvelles modalités d’accueil des étudiants, à appliquer d’ici au 8 février. Principale annonce : prévoir un retour en présentiel dans la limite de 20 % des capacités d’accueil globales des établissements.
« Nous avons décidé de passer outre ce système », explique Frédéric Hoffmann qui, pour l’heure, s’attache toujours aux consignes données le 20 décembre. « Cette deuxième circulaire nous a plongés dans un certain scepticisme sur sa faisabilité. Techniquement, il est impossible pour nous d’organiser le lundi les L1, le mardi les L2, le mercredi les L3… Ce n’est pas la peine de mettre en parallèle deux systèmes qui de toute façon sont forcément incompatibles en termes de salle et d’organisation des emplois du temps », pointe-t-il.
« Plus qu’un agacement, c’est surtout de la colère »
Le sentiment d’être face à des injonctions paradoxales est partagé par Dominique Belougne, secrétaire du syndicat CGT de l’Université de Bordeaux. « Tout se contredit, tempête-t-il, nos collègues ne savent plus à quel saint se vouer ! » Au téléphone, il confie le ras le bol des organisations syndicales : « Ce qui remonte, plus qu’un agacement, c’est surtout de la colère, sur les questions de pauvreté et de santé mentale. »
Ces questions ont été évoquées par Emmanuel Macron le 21 janvier. Le chef de l’État a annoncé la mise en place d’un dispositif de repas à 1 € dans les restaurants universitaires pour tous les étudiants, même non-boursiers, ainsi qu’un « chèque psy » pour répondre à l’urgence psychologique.
Pourtant censées redonner de l’espoir à la communauté universitaire, toutes ces annonces sont loin d’avoir produit l’effet escompté. « Les moyens annoncés sont toujours les mêmes, il n’y a aucun signal sur le plan budgétaire, ne serait-ce que sur l’ouverture de nouveaux amphis… Les enseignants sont prêts à faire du neuf mais là, ils sont à bout de souffle », confie le syndicaliste.
D’autant que, quasiment au lendemain de la prise de parole présidentielle, l’annonce d’un troisième confinement a envahi tous les esprits. Une séquence de communication qui a jeté le flou. « Le spectre d’un troisième confinement inquiète vraiment les étudiants. Cela pèse fortement sur leur moral, voire même sur leur mental », s’alarme Frédéric Hoffmann. Hier, mardi 26 janvier, une mobilisation étudiante a été organisée à Bordeaux pour dénoncer la gravité de la situation.
Communication brouillée
Le message qui se voulait rassurant a manifestement été brouillé, transformant la communication de l’exécutif en véritable « confusion », explique Samuel Attia, consultant en communication et responsable du master Communication Publique et Politique à Sciences Po Bordeaux. “Cette volonté de montrer aux étudiants qu’ils sont écoutés s’est télescopée avec tout un flot d’informations visant à préparer les esprits sur un prochain confinement, donc le résultat est une confusion. Si c’est le gouvernement et la présidence qui communiquent et que ça produit ce résultat, c’est de leur faute, c’est que la communication n’a pas été bonne ».
Le consultant reconnaît la volonté de l’exécutif de montrer que la situation actuelle à l’université a été comprise, mais souligne les limites de son intervention : « Je trouve qu’il y a une forme d’immaturité des médias qui attendent des informations fiables sur du moyen terme, ce qui n’est pas possible, et de l’autre côté, la difficulté des communicants de ne pas rentrer dans ce jeu-là et d’intervenir sur ce qu’ils savent. Le problème c’est qu’ils ne savent pas grand chose. »
Une communication manifestement mal orchestrée qui a jeté davantage de flou au sein de la communauté universitaire déjà dans le brouillard. « C’est l’ensemble des personnels qui sont en souffrance, aussi bien les personnels techniques ou administratifs que les enseignants chercheurs de l’Université », déplore Dominique Belougne. Lassée, la CGT de l’Université de Bordeaux réfléchit à une forme d’action le 4 février.
Illustration: Fred Augry